Mgr Matthieu Rougé : « Les transgressions éthiques génèrent de la violence : si on décide que toutes les vies ne valent pas la peine d’être vécues, on légitime implicitement le fait de porter atteinte à l’intégrité d’autrui »<!-- --> | Atlantico.fr
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L'évêque de Nanterre, Mgr Matthieu Rougé.
L'évêque de Nanterre, Mgr Matthieu Rougé.
©Alain JOCARD / AFP

Célébrations de Pâques

Au nom du respect de la dignité humaine, certains discours sont de plus en plus combattus notamment ceux de l’Eglise catholique sur l’IVG, la famille ou l’euthanasie. "Peut-on vraiment parler de société fraternelle si on remet plus ou moins en cause l’interdit fondateur de donner la mort ?", estime l'évêque de Nanterre, Mgr Matthieu Rougé.

Matthieu Rougé

Matthieu Rougé

Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, est membre du Conseil Permanent de la Conférence des Evêque de France. Il a publié Un sursaut d’espérance. Réflexions spirituelles pour le monde qui vient aux Editions de l’Observatoire en novembre 2020.

 

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Atlantico : Monseigneur, les catholiques célèbrent Pâques et la résurrection du Christ ce week-end. Dans le contexte aussi bien géopolitique que national de montée des violences et des sectarismes, que devrions-nous, selon vous, retenir de la signification spirituelle profonde de cette célébration ?

Mgr Matthieu Rougé : Pâques, c’est la victoire de l’amour sur la mort et toutes les forces de mort. Les violences contemporaines semblent en mesure de l’emporter sur les puissances de paix. Les disciples du Christ mort et ressuscité veulent au contraire manifester par leur foi et par leur vie que des chemins de réconciliation et de communion peuvent toujours se rouvrir. Les violences qui traversent notre société, chez les jeunes en particulier, expriment une quête de sens parfois désespérée. La révélation chrétienne manifeste que la vie nous est donnée par amour et pour que nous aimions. C’est cette découverte bouleversante qui donne à un nombre croissant d’adultes et de jeunes le désir de recevoir le baptême et de mener une vie chrétienne. L’appartenance au Christ n’est pas une option spirituelle superficielle mais une entrée dans le salut, qui libère du non-sens, de la solitude, du désespoir. 

Au nom du respect de la dignité humaine, certains discours pourtant fondés sur ledit respect de la personne humaine et de la vie sont de plus en plus combattus notamment ceux de l’Eglise catholique sur l’IVG, la famille ou l’euthanasie. Sommes-nous devenus une société qui censurerait Jésus s’il revenait aujourd’hui au nom de valeurs pourtant largement issues des Evangiles et de l’héritage judéo-chrétien ?

Les notions de dignité et de fraternité peuvent souvent être piégées ou équivoques comme le manifeste le débat en cours sur la fin de vie. Il est important que les discussions soient assez libres et ouvertes pour clarifier les termes et préciser les enjeux des débats anthropologiques contemporains. Peut-on vraiment parler de société fraternelle si on remet plus ou moins en cause l’interdit fondateur de donner la mort ? La dignité de la personne est-elle liée à sa capacité de performances ou est-elle intrinsèque, plus profonde que toutes les vulnérabilités ? Il y deux mille ans, Jésus a été non seulement censuré mais crucifié. Son message cependant ne cesse de résonner d’une manière salutaire : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jean 18, 37). 

Quelle différence voyez-vous entre la liberté de l’Homme dans le catholicisme et les libertés individuelles revendiquées par un certain progressisme sociétal qui veut permettre aux individus d’être absolument ce qu’ils veulent ou pensent être indépendamment de tout référent collectif ? Comment conjuguer ces aspirations ?

La liberté est une réalité essentielle de la foi chrétienne. Affirmer que Dieu est Père, c’est affirmer que Dieu veut nous engendrer à une vie libre, veut que nous puissions, grâce à une relation vivante avec lui, déployer toutes les potentialités de notre liberté. Mais cette liberté nous est donnée à travers des conditions qui nous précèdent, qui ne sont pas un obstacle à notre liberté mais le lieu de sa naissance et de sa croissance : notre corporéité, notre sexualité, la culture dans laquelle nous avons grandi. Par ailleurs, comme la liberté est un don offert à tous, elle ne peut pas se déployer de manière purement individuelle, comme si nos choix singuliers n’impactaient pas tous ceux qui nous entourent. Une compréhension, fréquente aujourd’hui, de la liberté comme auto affirmation individualiste, passe à côté de la vérité sur la personne humaine et risque d’enfermer dans la violence et le chagrin de la solitude. 

L’intégration de populations aux aspirations culturelles et religieuses différentes fait se raidir nombre de Français comme d’Européens : comment concilier respect du message universel d’amour des Évangiles et préservation de la matrice théologique qui a permis à l’Europe et à l’Occident d’être l’aire civilisationnelle la plus attachée à la paix, à la tolérance et au respect des droits de l’Homme ?

La réponse la plus pertinente à cette question est sans doute d’ordre spirituel. Une réaction seulement sécuritaire aux remises en cause culturelles ou religieuses de certains droits de l’Homme fondateurs ne peut qu’être inefficace ou susciter une réaction de violence en quelque sorte symétrique. Il nous faut nous réapproprier notre culture, c’est-à-dire notre manière d’habiter notre humanité, par un respect plus inconditionnel de la dignité humaine dans toutes ses dimensions. Les transgressions éthiques génèrent de la violence : à force de décider que toutes les vies ne valent pas la peine d’être vécue, on légitime implicitement le fait de porter atteinte à l’intégrité d’autrui pour une raison ou pour une autre. La centralité politique des questions éthiques, que ce soit dans le débat européen ou à propos de la fin de vie, n’est pas une obsession catholique mais le fondement anthropologique de la possibilité de vivre en société de façon durablement paisible et heureuse.

« C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’ils reconnaîtront que vous êtes mes disciples » disait Jésus (Jean 13-35). L’Eglise donne parfois l’impression de n’être plus que factions rivales, en est-elle venue à oublier elle-même ce message ? Et comment dépasser les fractures actuelles ?

Même s’il existe en effet des tensions, parfois fortes, dans l’Eglise aujourd’hui, il ne faut pas les exagérer. Il est normal qu’une immense communauté humaine, marquée par de grandes diversités culturelles, ne soit pas facile à rassembler dans l’unité. La communion de l’Eglise est, par essence, une sorte de miracle permanent. Cela dit, cette unité ne peut se construire que par la profondeur, comme le manifeste en ces jours l’unanimité de la joie pascale. Les diversités culturelles, spirituelles, liturgiques doivent donc être accueillies avec magnanimité et l’unité recherchée sans étroitesse disciplinaire mais en cultivant toujours davantage l’amour de Jésus-Christ.

Mgr Matthieu Rougé

Evêque de Nanterre

Membre du Conseil Permanent de la Conférence des Evêques de France

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