Mgr Matthieu Rougé : "Noël permet aussi de rappeler que les transgressions éthiques auxquelles nos sociétés ont consenti en fragilisent les fondements mêmes"<!-- --> | Atlantico.fr
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Statue de la Vierge Marie
Statue de la Vierge Marie
©LEON NEAL / AFP

Christianisme

Depuis plusieurs années le rôle du christianisme en France a beaucoup évolué. Quelle est devenue la place de l'Eglise dans les nouvelles problématiques actuelles ?

Matthieu Rougé

Matthieu Rougé

Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, est membre du Conseil Permanent de la Conférence des Evêque de France. Il a publié Un sursaut d’espérance. Réflexions spirituelles pour le monde qui vient aux Editions de l’Observatoire en novembre 2020.

 

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Rédaction Atlantico - Deux sondages, publiés en octobre dernier, illustraient un recul de la part de français croyants en France. Selon Odoxa, seule la moitié des Français se disent chrétiens aujourd’hui (un recul de 20 points en 40 ans) et 42% des Français sont sans religion. Noël reste largement célébrée, mais 37 % des Français la considèrent comme « une fête catholique qui fait partie de la tradition française » et 52 % la percevant comme « une fête devenue laïque » qui « appartient à tous », selon une étude Cluster 17. Que vous inspirent ces chiffres ?

Mgr Matthieu Rougé - La sécularisation de notre société progresse indéniablement mais la moitié de nos concitoyens persistent malgré tout à se considérer chrétiens, ce qui n’est pas négligeable. Nous continuons à vivre le passage d’un christianisme de masse à un christianisme d’adhésion, qui n’est pas exclusif d’une certaine persistance culturelle des références chrétiennes. Pour les chrétiens les plus fervents eux-mêmes, Noël « appartient à tous » car c’est le Sauveur de tous les hommes qui est né à Bethleem. Encore faut-il ne pas en rester à un folklore ou un attendrissement superficiel. La situation spirituelle de notre pays n’est donc pas facile mais ouvre des opportunités pour la mission. Comme croyant et comme évêque, j’en appelle à un véritable sursaut spirituel et missionnaire des catholiques. Nous ne pouvons pas nous résoudre à une sorte de désertification spirituelle contemporaine.

Qu’est-ce que cela nous dit de l’Eglise et de sa capacité à demeurer une référence dans la société française ? Est-elle dans l’incapacité de porter aujourd’hui une parole audible qui ne soit pas celle de réactions aux scandales qui l’émaillent ?

Un des paradoxes de la France est qu’elle est à la fois l’un des pays les plus profondément chrétiens du monde – par son histoire, par sa culture, par sa toponymie – et l’un des moins religieux. Il est important que les chrétiens d’aujourd’hui, moins nombreux mais souvent formés et motivés, sachent mettre en lumière cet arrière-fond spirituel de notre culture collective. Le drame des abus fragilise évidemment la parole des catholiques mais beaucoup reconnaissent aussi que l’Eglise est engagée dans un travail de vérité et de prévention déterminé, source d’espérance pour l’avenir. Les efforts accomplis pour accueillir et accompagner les personnes victimes, former à la protection des mineurs, développer une culture de la bientraitance porteront en leur temps des fruits de renouveau.



Même parmi les défenseurs du christianisme, des racines chrétiennes de la France, et de Noël comme une fête religieuse, on a le sentiment que le catholicisme est surtout agité sur le terrain identitaire plus que sur un terrain spirituel. Comment l’expliquer ?

Je ne partage pas ce diagnostic. Certains de nos concitoyens s’interrogent sans doute sur leur identité profonde et celle de notre pays, ce qui n’est pas illégitime. La matrice chrétienne de la France peut être parfois considérée par certains de nos contemporains, éventuellement non croyants, comme une référence seulement culturelle ou politique. Mais ceux qui font le choix, joyeux et courageux, de vivre en chrétiens croyants et pratiquants centrent leur vie sur le Christ et les évangiles, la prière, la louange, le témoignage, le service des plus pauvres. Les paroisses, les communautés et les mouvements, quand ils sont vivants, sont des lieux de ferveur et d’engagement et pas d’abord d’activisme militant.

Dans le cadre d’une réflexion sur l’euthanasie au Canada, un éditorialiste du New York Times se demandait : Que se passe-t-il si une société reste libérale mais cesse d'être civilisée ? Craignez-vous que notre débat sur la fin de vie se fasse au détriment de ce qui fait notre caractère civilisé ?

Il est heureux qu’un journaliste du New York Times pose une telle question ! L’idolâtrie exclusive de la liberté individuelle n’honore pas la profondeur de la liberté authentiquement humaine, indissociable, comme le rappelle notre belle devise nationale, de l’égalité et de la fraternité. « La barbarie à visage humain », pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre, ne cesse de guetter toutes les sociétés. Il est impressionnant de constater que, dans tous les pays où l’aide active à mourir a été légalisée, les garde-fous soi-disant éthiques ont mis peu de temps à sauter. Je suis impressionné en revanche, dans le débat français actuel sur la fin de vie, de la force de la parole et du témoignage des soignants, notamment ceux qui sont engagés dans les soins palliatifs, pas encore assez diffusés et financés. Ils montrent à quel point c’est « l’aide active à vivre » qui est vraiment digne de notre humanité.

Entre le retour de la guerre, le racisme, les tensions sociales, la capacité de la France à rester civilisée vous inquiète-t-elle ? Quel rôle l’Eglise peut-elle ou devrait-elle jouer dans ce contexte, nouveau et complexe ?

Comment ne pas être impressionné par la violence croissante de notre société ? En France bien sûr mais aussi à l’étranger : je pense évidemment au drame vécu par les populations ukrainiennes mais aussi arméniennes, tant d’autres encore à travers le monde. Je n’oublie pas les pays où la liberté religieuse n’est pas respectée, en particulier le Nicaragua et la Chine. Il me semble qu’à côté de grandes fractures géopolitiques, les transgressions éthiques auxquelles nos sociétés ont consenti contribuent à en fragiliser les fondements mêmes. Dans ce contexte, les chrétiens ont à être, à tous les niveaux et avec d’autres hommes et femmes de bonne volonté, des témoins de la vérité, des avocats de la liberté, des serviteurs de la dignité et de la paix. Beaucoup vivent effectivement cet idéal et je trouve cela beau et impressionnant. Puissent ces attitudes être contagieuses en 2023 : le virus de la promotion active du bien commun est à transmettre sans modération !

Dans ses vœux à la Curie, le pape a déclaré, entre autres choses : "Si, pour ceux qui partent, il est facile de se rendre compte de la distance, pour ceux qui restent chez eux, il est difficile de se rendre compte à quel point l’on vit un enfer à cause de la conviction de n’être que des victimes, traitées injustement par l'autorité constituée et, en définitive, par Dieu lui-même. Et combien de fois cela nous arrive-t-il, ici, à la maison !" et plus loin "Quelle est la source de l'indignation qui, très souvent, crée une distance entre nous et alimente la colère et le ressentiment ? Pourquoi la médisance, dans toutes ses déclinaisons, devient-elle le seul moyen que nous avons pour parler de la réalité ?". Faut-il y voir une critique de la tendance actuelle de la société et de ce qu'on appelle communément Wokisme ? 

Il me semble que le Pape mettait plutôt ses collaborateurs en garde contre la tentation de l’esprit de supériorité, incarné par le fils aîné de la célèbre parabole du fils prodigue, et contre celle de la médisance, malfaisante voire destructrice pour toute communauté humaine. Cela dit, il est arrivé par ailleurs au Pape François, par exemple dans son discours de l’an dernier au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, de souligner les risques de la cancel culture qui, en privant l’humanité de racines, menace aussi son avenir. Le sens chrétien de l’universalité de la nature humaine met en lumière le danger des communautarismes minoritaires offensifs de l’intersectionnalité. Dire cela n’est pas s’enfermer dans une vision fixiste de l’aventure humaine mais manifester au contraire que son déploiement authentique passe par le service paisible de la dignité de toute personne humaine, en tant que telle. Ce sens de la dignité et de l’universalité fait partie du message de Noël.

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