Le Point | « J’aimais la liberté du cardinal André Vingt-Trois » – 20.07.2025
L’évêque de Nanterre dresse le portrait de l’ancien archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques, qui vient de décéder.
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Quel genre d’homme était André Vingt Trois ?
Le Cardinal Vingt-Trois était un homme profondément dévoué à sa mission, enraciné dans la méditation des Ecritures, attentif au fond des choses et pas à leur écorce. C’était un homme d’écoute et de discernement sans concession à l’égard des modes et de la mondanité.
Que retenez-vous du prélat, comme archevêque de Paris et président de la CEF ?
Je n’oublie pas ma première rencontre avec le P. Vingt-Trois. Il achevait sa mission de secrétaire particulier du Cardinal Lustiger pour prendre notamment la responsabilité du service diocésain des vocations. C’est à lui que je me suis présenté pour la première fois – j’étais en terminale – afin d’exprimer mon désir de devenir prêtre. Je le revois encore – c’était en février 1983 – dans un petit bureau d’accueil au deuxième étage de l’archevêché. J’ai aimé sa liberté de ton et sa façon de me prendre au sérieux. Ce sérieux et cette liberté de ton ont caractérisé son rapport avec la société française : il parlait et agissait posément, sans concession ni outrance. Une de ses formules continue de faire mouche : face aux tentations de transgressions éthiques dans notre société, il ne s’agit pas nécessairement pour les catholiques de « manifester » mais bel et bien toujours de « se manifester ».
Pouvez-vous nous rappeler son parcours ?
Il est entré au séminaire en quelque sorte tout simplement dans la foulée de ses études au lycée Henri IV. Le Cardinal Marty, prédécesseur du Cardinal Lustiger, et Mgr Pézeril, évêque auxiliaire, ont remarqué ses qualités d’intelligence et de service. Il a ensuite enchaîné les missions, à la paroisse Sainte Jeanne de Chantal, au séminaire d’Issy-les-Moulineaux puis au service de l’ensemble du diocèse de Paris comme Vicaire Général et évêque auxiliaire, avant de devenir archevêque de Tours puis archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France. Interrogé sur son parcours, je suis sûr que le Cardinal Vingt-Trois aurait répondu comme dans l’Evangile : « je suis un serviteur inutile, je n’ai fait que mon devoir ».
Quel est le souvenir le plus marquant que vous avez de lui ?
Ce qui m’a marqué chez Mgr Vingt-Trois, c’est moins tel ou tel événement particulier que, de manière globale, ce recul, cette distance spirituelle, cette profondeur pudique qui lui permettaient de persévérer dans sa mission en dépit de toutes les bourrasques. Je garde aussi un fort souvenir de notre collaboration régulière et confiante pour ajuster la parole publique de l’Eglise au moment des débats de bioéthique dans les années 2010. Enfin, j’ai été très touché de la simplicité avec laquelle il s’est glissé au milieu des prêtres âgés de la Maison de retraite des diocèses de la région parisienne. Je l’y retrouvais régulièrement en allant rendre visite aux prêtres de mon diocèse de Nanterre, simple et priant.
Il a inscrit son action dans le sillage de Mgr Lustiger, dont vous avez été le secrétaire après Mgr Vingt-Trois. Pas facile de succéder à une telle personnalité. Comment a-t-il pu imprimer sa marque ? Quelle était-elle ?
Le Cardinal Vingt-Trois a été pendant près de quarante ans un collaborateur particulièrement précieux pour le Cardinal Lustiger. Il avait l’art de transformer ses intuitions en actions et de canaliser, avec liberté et loyauté, la surabondance de ses idées et de ses réactions. Une fois qu’il lui a succédé, il n’a pas cherché à imprimer sa marque mais à accomplir sa mission avec la liberté et la simplicité qui le caractérisaient. Il a exprimé son charisme propre d’abord en déployant et en solidifiant des réalisations de son prédécesseur comme le Collège des Bernardins, qu’il a inauguré et où il a accueilli le Pape Benoît XVI.
Vous a-t-il surpris ?
Il a été un peu déroutant pour certains prêtres de ma génération de retrouver comme archevêque l’homme fort des années Lustiger à son propre compte, si j’ose dire. Auprès du Cardinal Lustiger, Mgr Vingt-trois faisait corps avec les intuitions audacieuses et les initiatives permanentes de celui qui a tant renouvelé l’Eglise à Paris et au-delà. Une fois archevêque en titre, le Cardinal Vingt-Trois a exercé, avec sa part de timidité, un gouvernement délibérément plus discret, qui pouvait passer pour un gouvernement en mode mineur mais qui était en réalité fécond par sa profondeur et sa persévérance.
Qu’a-t-il apporté au catholicisme parisien ?
Il me semble qu’il a renforcé ce que, depuis le Pape François, on appelle la « transformation missionnaire » du diocèse de Paris. Je me rappelle en particulier sur ce point son discours programme au terme d’une assemblée diocésaine à Notre-Dame de Paris, invitant à enrichir notre pastorale de l’accueil par une pastorale plus intense de l’invitation. Ce que nous vivons aujourd’hui avec l’afflux des catéchumènes s’inscrit notamment dans ce sillage. Le Cardinal d’ailleurs sortait de sa réserve habituelle, c’était très touchant, le jour de « l’appel décisif » des catéchumènes au début du carême, tant il était heureux de manifester à chacun la sollicitude du Seigneur et le l’Eglise.
De quoi Paris a-t-il besoin maintenant ?
L’Eglise à Paris est d’une vitalité impressionnante. L’ampleur et la beauté des célébrations de réouverture de Notre-Dame l’ont bien montré (je pense notamment à l’interminable et magnifique procession des bannières paroissiales). Il s’agit pour l’archevêque de Paris et ses collaborateurs de veiller sur cette vitalité, de l’accompagner, de la développer, en communion avec l’ensemble des diocèses de la région parisienne et de France. C’est à quoi nous travaillons sous l’autorité pleine d’expérience, de bienveillance et d’efficacité de Mgr Ulrich, l’actuel successeur du Cardinal Vingt-Trois. Le « concile provincial » en préparation pour 2026 et 2027 sur l’accueil des catéchumènes et des néophytes, c’est-à-dire des nouveaux baptisés, en est un exemple prometteur.
André Vingt-Trois était connu aussi pour son rire joyeux. Le témoignage de sa pudeur ?
Je pense que son rire était une manière de ne pas se prendre au sérieux et de ne pas dramatiser ce qui ne mérite pas de l’être. Le Cardinal Vingt-Trois était sûrement un homme plus sensible qu’il ne le montrait. En le voyant ces dernières années priant au dernier rang de la chapelle de la Maison Marie-Thérèse, je me suis souvent demandé quel pouvait être le contenu de son colloque singulier avec le Seigneur. Je suis sûr, en tout cas, qu’il était fait d’humilité et de profondeur.