Les saints & l’écologie
Découvrez l'histoire de ces saints dévoués à la Création.
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Saint Fiacre de Brie
FIACRE de Brie – un Saint « aux parfums de la Terre »
En premier lieu, nous souhaitons évoquer, dans notre parcours de quelques saints emblématiques pour l’« Église verte », celui dont les armoiries iconographiques le représentent tenant une bêche dans la main droite et un livre dans la main gauche, entouré à ses pieds d’une abondance de fruits de la terre en pleine santé : saint Fiacre, figure populaire et vénérée parmi les saints « anciens ». Le qualificatif « aux parfums de la Terre » que nous lui attribuons, ainsi que son iconographie, mettent en lumière sa dimension écologique avant-gardiste, faisant de saint Fiacre une métaphore vivante d’une spiritualité enracinée « viscéralement » dans le soin des éléments naturels, reliant ainsi la foi à la nature.
On le décrit souvent comme « esseulé ». Mais pouvait-il vraiment l’être, lorsqu’il était entouré d’une multitude de fleurs, de plantes, de légumes, et de tous ceux qui accouraient vers lui de toutes parts les pauvres, les malades, les affamés pour trouver auprès de lui nourriture, soin et réconfort ? Était-il véritablement seul, lui qui vivait plongé dans les profondeurs de la Sainteté de Dieu, en communion avec la Création entière, relié par le plus vaste réseau du monde la biodiversité?
Né vers la fin du VIᵉ siècle en Irlande, saint Fiacre fut élevé dans le respect de la Création par des moines, qui lui transmirent une passion profonde pour le travail de la terre. Dès son enfance, il développa un intérêt marqué pour l’herboristerie et les pratiques agricoles. Animé par une quête spirituelle et un désir de découvrir un lieu favorable à ses idées novatrices, il quitta sa terre natale pour s’installer en Gaule, alors royaume mérovingien. L’évêque de Meaux, sensible à sa piété et à son talent, lui accorda une parcelle de terre où Fiacre s’établit en tant que moine-ermite, enraciné dans la terre et la prière.
Liant intimement le bien-être de la nature à l’inspiration divine, il consacra son savoir et ses récoltes au service des pauvres, qui bénéficiaient des fruits de son labeur. Son existence monastique menée dans sa prieuré près de Meaux, à la fois humble et dédiée, illustre la fusion parfaite entre le religieux et la nature : ses racines solidement ancrées dans le sol, il élevait par la prière des ailes de son âme vers les hauteurs célestes, trouvant dans ce travail spirituel et matériel l’expression complète de sa vocation. Grâce à la fertilité exceptionnelle de la terre qu’il cultivait avec des méthodes novatrices, saint Fiacre est vite devenu le patron des jardiniers, des pépiniéristes, des herboristes, des agriculteurs, ainsi que des malades et des adeptes de la médecine par les plantes. La tradition lui prête le pouvoir de transformer les terres stériles en jardins prospères, où la générosité de la nature et le labeur humain se conjuguent harmonieusement. En mettant ses talents au service de la biodiversité, il a su transmettre, à travers les siècles, non seulement le parfum de sa Sainteté, mais aussi celui des savoureux potages hivernaux préparés avec des légumes soigneusement cultivés sous sa protection.
La générosité, l’amour pour la nature et l’expertise de saint Fiacre dans la culture des plantes médicinales firent de lui une figure respectée et admirée de son vivant. Si, au fil des siècles, son auréole dorée a pu perdre un peu de sa brillance en fonction de l’évolution des critères de canonisation, la valeur ecclésiale de sa Sainteté en a allumé une autre, son auréole « verte », symbole de son lien profond avec la terre. Aujourd’hui, cette double auréole illumine les catholiques de l’Aube et de la Seine-et-Marne, dont il est le saint patron emblématique, et inspire également ceux qui, aux quatre coins du monde, chérissent et respectent la terre nourricière. Saint Fiacre demeure ainsi un modèle intemporel, unissant la sainteté et l’écologie dans une vie humble et dévouée, dédiée au soin de la Création et au bien-être de l’humanité.
Pour célébrer la mémoire de saint Fiacre mort vers 670, le calendrier liturgique a retenu la date du 30 août, et pour cause : cette période marque la diversité et l’abondance des dons de la nature, à un moment charnière de l’année où la saison des récoltes d’été cède place aux moissons d’automne. La fête de saint Fiacre, souvent célébrée avec liesse populaire et un décorum folklorique, devient ainsi une occasion privilégiée pour rendre grâce au Créateur comme aux cultivateurs pour les bienfaits de la terre. Saviez-vous qu’outre son iconographie abondante particulièrement dans le diocèse de Troyes et de Meaux, avec son nom firent « baptisés » certains produits de la vie quotidienne comme des haricots, des remèdes sur la base des plantes, mais aussi des localités et même un véhicule, le fiacre, ancêtre de nos taxis modernes ?
Il est important de souligner à l’occasion l’attitude remarquable de l’Église officielle de l’époque, qui mérite notre attention particulière. L’accueil chaleureux et immédiat de l’évêque de Meaux, Faron, ainsi que sa volonté de soutenir le projet du moine, montrent que l’Église de cette période était déjà en avance sur son temps. En effet, elle confia à saint Fiacre non seulement une parcelle de terre suffisamment vaste dans la forêt de Brie pour y établir son ermitage sous forme de pépinière-hospice, mais aussi la mission de transmettre ses connaissances agronomiques. Afin de pérenniser le « langage » de la terre sainement cultivée, saint Fiacre forma des moines, les rendant capables à leur tour de cultiver la terre et de créer des jardins visant l’autosuffisance alimentaire. Grâce à la clairvoyance de l’évêque du lieu, saint Fiacre bénéficiait de sa protection face aux tentatives menées par ses adversaires de discréditer ses efforts. Son ermitage, devenu rapidement un refuge pour les pauvres et les malades qu’il nourrissait des fruits de son travail agricole, incarnait déjà les principes fondamentaux de l’écologie intégrale, tels qu’ils seront plus tard promus par l’Église, en mettant en pratique une harmonie entre la nature et le soin des plus démunis. La parcelle symbolique que le lointain saint Fiacre cultivait avec amour, pour le bien des autres, inspira peut-être le pape Léon XIII à valoriser dans son encyclique Rerum Novarum (1891) le mode de vie « pépiniériste » comme modèle de bonheur pour les cultivateurs. Combien la vision moderne de l’écologie donne aujourd’hui raison à la pensée de ce pape, alors que l’idéal d’une famille cultivant directement son propre champ, qu’il défendait, fut longtemps considéré comme démodé face aux exigences de la modernité.
Prions :
Ô saint Fiacre!
Ingénieux Patron des pépiniéristes, jardiniers, herboristes, maraîchèrs et de tous ceux qui nourrissent les hommes de leurs mains, les soignent et les transportent en taxis ; inspirateur des porteurs de projets courageux — toi dont l’âme jubilait au simple contact de la Terre, imprégnée du parfum du pétrichor, toi qui transformas le sol flétri et hérissé en jardins de fleurs et potagers de légumes, toi qui te laissais toucher par la misère des affamés et des corps souffrants — apprends-nous, s’il te plaît, par ton exemple et par ta prière, à transformer les recoins stériles de notre âme et de notre habitat en « pépinières » fertiles de la Sainteté divine.
Fais germer, dans le terroir de notre quotidien professionnel, familial et pastoral, les graines de nos projets, même les plus simples. Veille sur leur croissance et rends-les pérennes. Nous te le demandons pour la gloire de notre Père céleste, qui, à chaque instant de sa création, vit que cela était bon, sain et saint. Amen.
Père Robert Lorenc
Hildegarde de Bingen
Hildegarde – Une Sainte à l’aura « solaire »
Peu avant l’apparition du « Poverello », une autre grande figure de la spiritualité chrétienne surgit des profondeurs de l’histoire. À l’instar de saint François d’Assise, elle réunit toutes les qualités nécessaires pour revendiquer légitimement le « label vert » de la Sainteté. Par sa vie, ses enseignements, ses explorations botaniques et médicales, son art, ainsi que ses visions mystiques, elle incarne pleinement la dynamique « verte » du Salut. Il existe, en effet, des saints dont la Sainteté rayonne naturellement avec une telle intensité que la reconnaître officiellement par la procédure canonique pourrait paradoxalement en limiter la portée. Toute tentative de réglementer ou de prouver une telle Sainteté reviendrait, en quelque sorte, à porter atteinte au Sacré qui agit spontanément au sein du peuple. Dans ce cas l’acuité de la Sainteté est telle que la meilleure façon de l’honorer et de s’en imprégner est de la laisser rayonner librement à travers ses témoins, telle qu’elle est.
Tel fut l’extraordinaire cas de Hildegarde de Bingen (1098-1179) définie comme « conscience inspirée » du XII siècles. Sa popularité et sa fama sanctitatis étaient si éclatantes et multidimensionnelles qu’aucun pape n’avait jugé nécessaire de la canoniser officiellement. Elle incarnait en elle-même toutes les attitudes humaines nécessaires pour assurer une communion harmonieuse et sereine avec Dieu à travers la nature et la Création. Son rayonnement, qui s’est étendu sur huit siècles d’histoire de l’Église, était si évident qu’il a fallu attendre le pontificat de Benoît XVI pour qu’elle obtienne le 7 octobre 2012 le titre de docteur de l’Église et soit officiellement reconnue comme sainte, non pas par les procédures probatoires classiques, mais par une canonisation équipollente. Cette forme de canonisation constitue en réalité une admission directe au « panthéon » des saints, avec pour seule exigence un miracle, ainsi qu’un culte établi « per immemorabilem temporis cursum » (depuis des temps immémoriaux). Dans le cas de Hildegarde, cela ne posait pas un obstacle insurmontable : ses huit siècles d’influence étaient marqués par de nombreux miracles et des manifestations de piété associées à sa personne, toutes reconnues avec la « scientia ac tolerantia Sedis Apostolicae vel ordinarii » (le savoir et l’approbation du Saint-Siège ou des évêques locaux).
Bien que la personnalité de la Sainte et ses multiples charismes exceptionnels suffisent à justifier un intérêt particulier pour elle, c’est avant tout sa théorie novatrice sur la viriditas, de Dieu qui nous intéresse le plus ici.
Le prénom même de Hildegarde d’origine germanique, porte en lui un programme prophétique, conjuguant l’idée de hild (« bataille » ou « combat ») et gard (« protection »), comme une invitation à mener un « combat pour la protection » de la nature, de la Création et de la Sainteté elle-même. Cette étymologie résume parfaitement la vocation écologique et spirituelle de Hildegarde de Bingen, qui a su incarner ce combat tout au long de sa vie par une vision intégrale de l’écologie, où la nature et la spiritualité se rejoignent en harmonie. Son nom témoigne également d’un tempérament et du caractère de la Sainte lui permettant d’assumer de différentes responsabilités réservées habituellement à l’époque aux hommes dans l’Eglise. Voici les principales facettes de son héritage spirituel et de son approche précurseur de l’écologie dans le contexte de notre crise actuelle :
- La “Viriditas” : Une Vitalité Divine au Cœur de la Création
Au cœur de la théologie de Hildegarde se trouve donc la viriditas, un terme qu’elle a forgé pour exprimer la « force verdoyante » de Dieu, cette vitalité divine qui anime et régénère toute la Création. La viriditas est la puissance de la vie, l’énergie créatrice, qui « donne aux plantes leur verdure, aux rivières leur fraîcheur, et aux âmes leur vigueur spirituelle ». Pour Hildegarde, cette force verdoyante est une manifestation de la bonté de Dieu lui-même, présente en chaque être vivant. La viriditas est donc à la fois une énergie physique nourrissant la terre, les rivières, et les arbres et une force spirituelle, qui restaure et ravive l’âme humaine. Ainsi, la protection de la nature devient un acte sacré, une forme de respect envers la viriditas qui émane de Dieu lui-même.
Mais dans la pensée de Hildegarde, la viriditas représente bien plus qu’une simple croissance matérielle. Elle est la puissance créatrice de la vie, la force verdoyante qui traverse et anime toute la Création. Pour elle, chaque être vivant, chaque plante et chaque souffle de vent est imprégné de cette vitalité, qui procède directement de Dieu. Au risque de trop chosifier un telle puissance spirituelle de Dieu on pourrait la comparer à un divin « fluide » verdissant qui fait de tous les éléments du monde, les être vivants compris un système de vasque communicants unis les uns aux autres dans la responsabilité commune de bon fonctionnement de ce système. Cette force verdoyante témoigne de la bonté inhérente de la Création.
Contrairement aux vues plus austères de théologiens qui l’ont précédée ou qui lui étaient contemporains, et qui insistaient sur la déchéance du monde matériel causée par la corruption du péché originel, Hildegarde voyait la nature comme une révélation de Dieu et affirmait la bonté fondamentale de l’humanité. Elle soutenait que « chaque créature est un miroir étincelant de la Divinité », reflétant ainsi la beauté et la grandeur du Créateur.
- La Puissance Guérisseuse de la Viriditas
L’un des aspects les plus marquants de la théologie de Hildegarde est sa conviction que la viriditas possède un pouvoir guérisseur. Elle considère la nature comme une source de revitalisation pour l’âme humaine à laquelle tout le monde peut venir puiser du remède divin capable de restaurer les parties « avachies » de l’esprit et du corps. Ses connaissances en médecine et en herboristerie, combinées à sa théologie mystique, l’ont conduite à considérer la santé humaine en lien direct avec l’harmonie de la nature. Elle croyait que la dégradation de l’environnement entraînait non seulement des désordres écologiques, mais aussi des troubles spirituels et physiques. En détectant les endroits de notre vie et de notre corps où la viriditas est empêchée de circuler, nous pouvons entreprendre un processus de guérison en levant les obstacles et en cultivant cette force de vie créative.
Grâce à la viriditas, Hildegarde attribuait à la nature une capacité intrinsèque à restaurer l’équilibre et à guérir les maux de l’âme et du corps. Sa vision, que l’on pourrait qualifier d’écologique, allait bien au-delà de la simple préoccupation pour l’environnement ; elle englobait une approche globale du bien-être humain. Les paroles de Hildegarde ne trouvent-elles pas aujourd’hui une résonance particulière face aux maux de notre époque, tels que la mélancolie, la dépression, ou les troubles liés à la vie professionnelle, comme le burn-out, et même l’acédie, cette perte de motivation spirituelle chez les prêtres et les religieux ? Elle nous encourage à surmonter ces blocages psycho-spirituels qui entravent l’épanouissement de la viriditas en nous – cette force vitale et verdoyante qui anime toute la Création. En nous réconciliant avec Dieu, avec nous mêmes et avec le monde naturel, nous pouvons redécouvrir la joie et la plénitude d’une existence vécue en harmonie avec l’ordre divin. Hildegarde nous indique ainsi comment retrouver notre enthousiasme, au sens profond du terme, qui signifie littéralement : « avoir tout son être en Dieu ».
- « Enracinés dans le Soleil » : La co-Création avec Dieu
Hildegarde croyait aussi que l’homme, en tant qu’image de Dieu, est appelé à être un co-créateur avec Lui. Ne le fait-il pas déjà en ré-créant et en pro-créant ? Pas tout à fait car la faculté de co-créer impliquerait un degré de perfection divine qui semblerait inaccessible à l’homme en raison de sa nature. Tout de même en participant à la préservation et au « verdissement » de la terre, les êtres humains accomplissent leur vocation divine. Sa vision mystique de la viriditas évoque cette idée d’une verdure « royale et enracinée dans le soleil », un état où les croyants sont invités à s’imprégner de la lumière divine pour rayonner dans le monde. En acceptant la viriditas et en permettant à cette force de guider nos actions, nous pouvons contribuer à revitaliser la Création tout en transformant nos vies personnelles. Le combat de Hildegarde n’était donc pas seulement spirituel, mais aussi physique et concret. Elle a promu une théologie de l’action, où la préservation de la nature et la quête de justice faisaient partie intégrante de la vie chrétienne. Elle croyait que les fidèles avaient le devoir d’agir en tant que gardiens de la Création, en répondant avec vigueur à toute menace contre l’intégrité du monde naturel.
En fin de compte, la vision « écologique » de Hildegarde n’est pas seulement une philosophie ni action physique, mais surtout une prière vivante : “Que Dieu vous étreigne, vous qui êtes enracinés dans le soleil”. Par cette affirmation de la vitalité divine en nous, elle nous invite à devenir nous-mêmes des agents de guérison pour un monde en quête de renouveau. Sa théologie de la viriditas nous invite à reconsidérer notre place dans l’univers, non pas comme des maîtres dominateurs, mais comme des intendants attentionnés et aimants. Elle nous rappelle que la protection de la Création est une réponse active à l’appel divin, une forme de louange à Dieu à travers l’action concrète. Son appel à protéger la Création s’adresse ainsi à notre conscience collective : il ne s’agit pas simplement de sauver la nature pour des raisons utilitaires et individualistes, mais de préserver un espace sacré où Dieu se manifeste à toute l’humanité dans sa Création. C’est un appel à redécouvrir la « puissance verdoyante » en nous et à cultiver cette vitalité divine pour régénérer notre monde abîmé, recréer ses resources, donc co-créer avec Dieu son nouvel avenir.
- La vision d’une Éco-Spiritualité Prophétique
Alors que le monde actuel est confronté à des crises environnementales et sociales majeures, la vision de Hildegarde de Bingen offre une voie spirituelle et pratique vers un avenir durable. L’approche « écologique » de Hildegarde, bien qu’élaborée au XIIe siècle, anticipe de nombreuses préoccupations modernes. Elle invite à une éco-spiritualité où la défense de l’environnement est vue non comme une contrainte, mais comme une réponse joyeuse à l’appel divin. Pour Hildegarde, l’engagement « écologique » est une composante essentielle de la foi chrétienne. Elle invite les croyants à s’impliquer dans la préservation de la terre non seulement par nécessité morale, mais aussi comme expression de leur amour pour Dieu et pour la Création. Selon elle, aimer la nature, c’est reconnaître en elle la présence divine et agir en tant que gardiens responsables de ce don sacré. Ainsi la viriditas offre une base théologique solide pour une écologie chrétienne qui ne sépare pas la foi de l’action en faveur de la nature. Hildegarde montre que le respect de la nature et la quête de la Sainteté ne sont pas des chemins parallèles, mais convergents.
Conclusion
En poursuivant la réflexion « solaire » de Hildegarde, mais cette fois « pour le compte » de la Sainteté, il serait peut-être permis d’imaginer que, à partir du mouvement circulaire de l’Amour trinitaire, Dieu communique sa Sainteté à l’univers. De même que le soleil projette dans le cosmos, sans cesse, une quantité immense de plasma qui se transforme immédiatement en énergie rayonnante dans l’espace, de même Dieu inonde continuellement le monde de sa Sainteté par les effusions de sa grâce sanctifiante.
Cependant, contrairement à l’énergie solaire qui ne réchauffe pas l’espace interplanétaire en l’absence d’un conducteur, à l’exception de l’atmosphère terrestre, le feu de l’Amour de Dieu réchauffe l’être humain tout entier à travers son âme et son esprit, capables de capter les vivifiantes vibrations de l’Esprit Saint. Cela est rendu possible par l’incarnation du Logos, devenu ainsi le plus parfait « Conducteur » des bienfaisantes énergies divines entre le Ciel et la Terre.
Ainsi, ce que l’air représente pour la Terre et ses merveilles dans l’absorption de la viriditas de Dieu, l’esprit et l’âme le sont pour l’homme, lui permettant de restaurer la totalité de son « organisme » dans la lumière de la Sainteté divine. Nous pouvons donc conclure, de manière un peu triviale, que nous portons tous la Sainteté de Dieu jusque dans notre peau ! Comment pourrait-il en être autrement, puisque, selon la sainte Docteure de l’Église, « l’homme contient en lui le ciel, la terre et les autres choses créées, et il est une forme unique, en qui tout cela est caché » ? Plus poétiquement, ce mystère a été illustré par l’Abbesse visionnaire de Bingen dans son œuvre mystique Civias (« Connais les voies »), et tout particulièrement à travers ces phrases courtes, mais ô combien denses et profondes :
• « Par le Verbe, une très douce humeur de sainteté s’est écoulée du Père en l’Esprit Saint, produisant une abondante et multiple fructification, comme un pur liquide qui, en descendant sur une graine, la transforme en une solide pousse. »
• « Toute la création est vivifiée par la verdeur de l’Esprit. L’âme est comme l’humidité du corps, qui permet à la chair de vivre et de croître. »
Ces citations montrent que pour Hildegarde, la viriditas est une force divine omniprésente, une manifestation de la vitalité et de la guérison qui parcourt l’ensemble de la création, tant dans la nature que dans l’être humain.
Concernant « l’hygiène » de vie intérieure de l’Église à son époque, les réflexions précieuses de Hildegarde de Bingen ont été mises en lumière par le pape Benoît XVI dans l’une de ses catéchèses, celle du mercredi 8 septembre 2010, consacrée à la « prophétesse teutonnique ». Il y rappelle notamment que « Hildegarde s’opposa de manière particulière au mouvement des cathares allemands, qui, en prônant une réforme radicale de l’Église pour lutter contre les abus du clergé, cherchaient à renverser sa nature même. Elle les critiqua sévèrement, leur rappelant que le véritable renouvellement de la communauté ecclésiale ne réside pas tant dans le changement des structures, mais dans un esprit de pénitence sincère et un chemin actif de conversion. » Ce message de sainte Hildegarde, souligne le pape, reste pertinent aujourd’hui. « Nous ne devrions jamais l’oublier », ajoute-t-il, en exhortant à invoquer l’Esprit Saint pour qu’il suscite au sein de l’Église des femmes saintes et courageuses, comme Hildegarde, qui apportent par leurs dons et leur engagement une contribution précieuse à la croissance spirituelle de nos communautés.
La fête de la Toussaint, l’une des célébrations les plus lumineuses de l’Église, nous invite à emprunter les chemins qui mènent à la Sainteté. À ce titre, il est précieux de méditer sur les réflexions de sainte Hildegarde de Bingen, véritable maîtresse de la vie spirituelle, à propos de la « cultivation » de la Sainteté dans le jardin intérieur de l’âme. Dans la même catéchèse, le pape Benoît XVI cite cette grande mystique : « La vie spirituelle doit être cultivée avec beaucoup de dévouement. Au début, la fatigue est amère, car elle exige la renonciation aux manifestations extérieures, aux plaisirs charnels et à d’autres choses semblables. Mais lorsqu’elle se laisse séduire par la sainteté, l’âme trouve doux et plein d’amour le mépris du monde. Il suffit simplement, avec discernement, de veiller à ce que l’âme ne se fane pas » (E. Gronau, Hildegard. Vita di una donna profetica alle origini dell’età moderna, Milan, 1996, p. 402).
Il est essentiel de préciser que le « mépris du monde », mentionné par tous les mystiques, ne signifie pas le rejet de la création en elle-même. Au contraire, il s’agit de renoncer à tout ce qui, dans un sens johannique, s’oppose à la bonté de Dieu, telle qu’elle se manifeste dans la création et dans l’âme humaine. Cette nuance nous rappelle que l’engagement spirituel ne consiste pas à fuir le monde ni la nature, mais à discerner ce qui dans le monde dévie de la volonté divine, afin de mieux s’attacher à ce qui élève l’âme vers Dieu.
Tous les passionnés de géométrie fluide, adeptes des pratiques méditatives, de bien-être et d’équilibre énergétique, en quête d’une vie en harmonie avec la nature et la spiritualité chrétienne, ne trouveront pas de meilleure guide que sainte Hildegarde de Bingen. Bien que lointaine dans le temps, elle reste résolument actuelle, offrant un enseignement qui concilie, en un unique élan solaire de la créativité divine, le mysticisme positif, l’enchantement des arts et l’amour de la nature.
Faisons confiance à son intuition. Déjà, les plus grandes autorités spirituelles et intellectuelles de son époque se tournaient vers elle pour ses conseils. Bien d’autres, après sa mort, ont continué à puiser dans sa sagesse et son savoir. Pourquoi n’en ferions-nous pas autant aujourd’hui ? Que sa prière soit pour chacun de nous une source d’inspiration, capable de raviver notre bonheur, notre quiétude et notre enthousiasme en ces temps troublés.
Prions
Ô Sainte Hildegarde, mystique, médecin, artiste, abbesse et écologiste avant l’heure, nous te confions aujourd’hui tous les chercheurs de notre époque, tes collègues animés par la même vocation. Par ton intercession précieuse et sensorielle auprès de Dieu, que la mystérieuse viriditas celeste, dont tu as su saisir les bienfaits sur tous les êtres de l’univers, les unisse dans un ardent désir de préserver la Création. Que cette force vivifiante lève en eux les obstacles à l’accès à la Vérité profonde et les guide vers des actions justes, faisant circuler entre leurs âmes le feu de l’Esprit Paraclet.
Que le rayon solaire de la lumière divine éclaire leur visage, apaisant les tensions de leurs esprits et de leurs corps. Qu’il affine leurs sens et les ouvre à la beauté de la Création, afin qu’à travers les œuvres de ce monde, ils puissent percevoir la douce et paisible respiration de leur Éternel Auteur. Nous te le demandons, pour la gloire du Créateur, l’harmonie des éléments du monde, et la sanctification des hommes.
Amen
Père Robert Lorenc
François d’Assise
Le Poverello – un Saint qui parla aux oiseaux …
Il n’est pas aisé d’approcher l’aura d’un saint à la renommée mondiale, ni de ramener la puissance de son influence dans le cercle restreint de notre propre gravité spirituelle. Un saint de cette envergure nous semble souvent trop grand, trop lointain, presque hors de notre portée. Parler de lui, écrire sur lui, semble encore plus ardu : chaque mot paraît emprunté, chaque image, usée. Tout ce que nous pourrions dire de lui résonne comme un écho du déjà-entendu, tout ce que nous pourrions montrer de sa vie paraît du déjà-vu, et même nos prières par son intercession semblent des répliques du déjà-vécu.
Certes, nous pourrions lui conférer de nouveaux titres, de nouvelles « casquettes » de patronage spirituel pour le rendre plus actuel, l’adapter à notre époque, mais nous savons bien, au fond, que c’est peine perdue. Il doit bien avoir des missions célestes plus élevées que de se pencher sur nos soucis quotidiens, à la fois infimes et profonds. Et alors, souvent, nous le laissons de côté, nous détournant de son auréole pour chercher un exemple plus accessible, plus proche de nos propres préoccupations.
Cela semblerait particulièrement vrai pour saint François d’Assise (1181-1226), dont le rayonnement permanent et quasi planétaire traverse huit siècles d’histoire humaine, dépassant largement les frontières de l’Église catholique. Et pourtant, il n’en est rien. Celui qui a tout quitté pour épouser Dame Pauvreté, comment pourrait-il ne pas nous reconnaître dans les pauvretés de notre propre vie ? Et, à l’inverse, comment pourrions-nous ne pas retrouver les moments les plus marquants de notre existence et de notre foi dans le vécu de celui dont la figure est devenue une icône universelle des Béatitudes évangéliques ? Sa proximité fraternelle est d’autant plus intense qu’il nous rejoint aujourd’hui dans l’un des plus grands défis de notre époque, qui fut déjà le sien : l’amour et la protection de la Création.
Alors, celui qui a su parler aux oiseaux et à tant d’autres créatures de la terre trouverait-il encore aujourd’hui des mots justes pour murmurer à l’oreille de l’homme moderne, isolé derrière ses écouteurs sophistiqués et cloisonné par les écrans de ses ordinateurs ? Pourrait-il encore toucher le cœur de l’homme, de plus en plus robotisé, en révélant une facette méconnue de sa personnalité, capable de nous guider ? Lui redonner la parole, ne serait-ce pas une forme de « recyclage spirituel » ? Et pourquoi pas, d’ailleurs ! Où serait le mal, surtout à une époque où tant de ressources naturelles s’épuisent ? Ne faudrait-il pas, dès lors, recycler même dans le domaine profondément spirituel de la Sainteté elle-même ? Certains prétendent que l’idéal de la Sainteté est en voie de disparition. Voilà donc une raison de plus pour faire de nos saints une « espèce » à protéger, quitte à faire du neuf avec de l’ancien. N’est-ce pas, après tout, la force créative propre à l’humanité ?
Tel était aussi le charisme principal du Poverello : faire du neuf avec de l’ancien, un véritable recyclage de haute volée, applicable à tous les domaines de la vie, pour toutes les époques et toutes les générations. Dans un monde ancien qui s’effritait et une Église vacillante, François se dressa pour poser les fondations d’un monde nouveau, au cœur même de la puissante Curie romaine.
Il est des moments dans la vie des hommes où des épreuves douloureuses, nées soit de l’insouciance, soit d’un idéal démesuré, déposent dans les plaies de leur souffrance les germes d’une conversion profonde. Ces graines, comme un ferment de vie nouvelle, s’infiltrent jusqu’aux moindres fibres de leur corps et de leur âme. Elles y mûrissent, croissent, œuvrent en silence pour porter leur fruit. Pour François Bernardone, l’une de ces épreuves transformatrices fut sûrement sa captivité de deux ans, conséquence de la guerre de dépendance pour Assise, à laquelle il s’était livré avec toute la fougue de sa jeunesse et la générosité de son cœur. Dans ces moments de confinement et de silence, alors que son ancien monde s’effondrait autour, naissait peut-être en lui cet appel vers une liberté intérieure qui allait inspirer non seulement sa propre vie, mais des siècles de cœurs en quête de renouveau et de paix.
« François, ma maison tombe en ruine et s’écroule. Va et reconstruis-la ! », lui souffla une voix émanant des ruines de la vieille chapelle San Damiano une fois le jeune homme libéré et rentré à la maison. Sans hésiter, et avec l’élan de sa jeunesse, il obéit et se mit à reconstruire les murs tel un maçon … mais il comprit bientôt qu’il s’agissait en réalité de l’Église du Christ tout entière. Il releva ce défi immense. Au même moment un autre homme, le plus puissant de l’époque, le Pape Innocent III rêva d’un pauvre moine relevant la tour de sa basilique saint Jean de Lateran. Pendant leur rencontre à Rome il l’a vite reconnu et pris dans ses bras comme l’on prend son fils et le soutient pour sa mission. Mais pour y parvenir, l’inattendu « sauveur » devait d’abord se dépouiller de l’homme ancien qu’il était, afin de devenir un homme profondément renouvelé. Il s’est senti prêt à tout abandonner pour aller nu à la rencontre de son destin.
Pour atteindre la parfaite union avec la Création dans l’amour de son divin Auteur, il lui fallut d’abord affronter deux obstacles majeurs l’en tenant encore à distance, obstacles insurmontables pour le commun des mortels. Le premier relevait de l’imperfection de la nature même et d’un de ses fruits qui constituait pour l’époque et pour aujourd’hui encore l’horreur absolu – la lèpre. Pour jeune François gratifié des plus beaux attraits physiques et spirituels les lépreux étaient la négation même de la beauté, des personnes qu’il craignait et qu’il fallait éviter à tout prix sur son chemin. Nous pouvons imaginer l’effort que seule la grâce divine pouvait rendre possible lorsque le même jeune homme a pris dans ses bras et embrassa le lépreux qui lui a été destiné aux abords de la ville d’Assise. Désormais tous les lépreux sont devenus pour lui des frères et sœurs qu’il soigna et nourrissait de ses propres mains avec la plus grande délicatesse et attention.
Tout a basculé alors pour François à ce moment-là lorsque cet acte de la charité chrétienne suprême lui a donné la force pour lever le second obstacle le séparant toujours de l’union parfaite avec le Christ rejeté, abandonné, exténué et suspendu tout nu sur le gibier de la croix. La voie fut donc tracée dans la tête de celui qui désirait tant de devenir un grand prince et chevalier. Cette fois l’épreuve à surmonter venait de l’opulence du cœur des hommes se manifestant dans leurs somptueux vêtements qu’il portaient, devenant l’apanage de leur orgueil démesuré et l’écran matériel les empêchant de voir leur propres suffisances. Il lui a fallu aussi y faire face. Il y a bien trouvé un moyen extrême taillé à la mesure de son idéal de la Sainteté.
Ce tournant décisif s’incarna dans un moment inoubliable, l’une des conversions les plus spectaculaires de l’histoire : face à la plus grande faste de son époque, il se dénuda entièrement dans la fleur de sa jeunesse, sur la place de sa ville natale en rejetant les charmes des plus précieuses étoffes de son père pour renaître autrement et faire briller le « nu » grandiose de l’homme libéré. Rejeté alors par son père terrestre, il se remit entièrement aux bras de son Créateur, embrassant la pure et douce nudité de la Création. Désormais, ce milieu naturel devenait sa maison, sa famille. Il n’aura de cesse d’en prendre soin, de le chérir, et de n’en faire qu’un.
Son esprit imprégné de la lumière divine l’inspira à manifester cette nudité totale, comme pour symboliser une renaissance non plus par le sein d’une femme, mais cette fois-ci par le sein de « Mère Nature ». C’est bien ici, sur la matrice de toutes choses, que naquit le Poverello, l’icône légendaire de communion avec le monde dans la pauvreté pour qui chaque créature devint un frère ou une sœur, même la mort elle-même. À son heure sonnée, François fidèle à ses convictions jusqu’où bout et pour honorer son union avec Dame Nature exigea de ses confrères sous serment d’être déposé sur le sein de la terre tout nu comme il l’est venu au monde le jour de sa naissance biologique et comme il se dévoila le jour de sa renaissance en présence des habitants d’Assise comme témoins émus aux larmes. N’est-ce pas ainsi que le Saint de Dieu épris de la beauté de la Création créa le précédent pour tous les enterrements chrétiens, dit « écologiques» qui invitent la Terre à accomplir son oeuvre définitive d’absorption dans son sein de la chair humaine sur le chemin de la Résurrection à venir?
Dès lors, n’ayant plus rien à perdre, il a tout gagné surtout la liberté inestimable de demeurer en paix avec lui-même et d’aimer le monde comme nul autre avant lui ne l’aimait, hormis le Sauveur. Une telle disposition du cœur lui a donné des ailes, faisant de lui un frère universel de tous les éléments de la Création. Par ses choix fondamentaux et ses actions en conséquence, il offra un témoignage intemporel : notre bienveillance envers la Création ne repose pas seulement sur des gestes concrets, aussi stimulants soient-ils, mais avant tout sur une paix intérieure seule capable de tisser, avec le monde et ses merveilles, un véritable réseau de relations de guérison, fondé sur l’amour et le respect des différences.
Rien de plus inconvenant, en effet, que de stresser la nature par nos propres angoisses, de lui prêter nos intentions, incertitudes, nervosité, cupidité, nos fanatismes ou encore notre déchéance. Une telle paix ne peut naître que de la source et de l’apogée de toute vie : Dieu lui-même. François le savait. Le jour de son conversion sur la place de la ville, François Bernardone est devenu le véritable instrument d’une telle paix de Dieu. Plus de temps de perdre. Pour suivre le Christ et sauver le monde il s’est mis à la semer là où il y avait la haine, l’injure, le doute, le désespoir, les ténèbres et la tristesse…
En effet l’un des épisodes les plus célèbres de la vie de François, lorsqu’il prêchait aux oiseaux, illustre magnifiquement ce langage d’une simplicité désarmante et d’une innocence insensées qu’est l’Amour. S’adressant à eux comme à des frères, il les invitait à louer Dieu simplement pour leur existence, dans un élan de tendresse qui reconnaissait leur place et leur dignité au sein de la Création. Ce geste résume parfaitement son amour pour la nature, qu’il ne voyait pas comme un simple décor à la vie humaine, mais comme une source d’inspiration spirituelle et un chemin vers la communion avec Dieu.
En effet, on peut dire que saint François d’Assise savait véritablement « parler aux oiseaux » en amoureux de la Création. Son respect pour la nature découlait d’une vision spirituelle profonde, où chaque élément de la Création qu’il soit animal, végétal, minéral ou céleste incarnait une expression de la bonté et de la beauté de Dieu. Pour François, chaque créature était donc un « frère » ou une « sœur », tissant ainsi une vaste fraternité universelle qui reflétait l’amour du Créateur. Lorsqu’il s’adressait aux oiseaux ou au loup, ce n’était pas un simple geste poétique, mais un acte d’une sincérité et d’un respect profonds pour ce qui représentait, à ses yeux, une part du divin.
Saint François d’Assise demeure en effet l’emblème par excellence d’une relation harmonieuse avec la nature, incarnant jusqu’à la profondeur de sa chair un idéal de respect et de fraternité universelle. Les stigmates du Christ, imprimés dans son corps, l’ont uni à l’arbre sacrificiel de Vie, reliant le ciel, par sa couronne, et la terre, par ses racines, dans cette douleur d’enfantement que la Création tout entière continue de traverser pour sa sanctification. Configuré ainsi au Christ jusqu’à dans sa chair, St François mis la Sainteté de Dieu au centre de nos modes de vie et de nos préoccupations pour le salut du monde. Le Christ n’est pas seulement le Sauveur de l’homme mais aussi le Salvator Mundi. En tant que patron céleste de l’écologie, son amour profond pour toutes les créatures rappelle aux chrétiens l’importance de préserver et d’honorer la Création divine. Son exemple reste une source d’inspiration pour l’Église et pour les fidèles, les invitant à œuvrer pour une écologie intégrale, où la sauvegarde de la Création se conjugue avec le respect de l’homme et de sa dignité.
Le 28 novembre 1979, le Pape Jean-Paul II désigna saint François comme patron officiel de l’écologie intégrale. Aurait-il pu faire un meilleur choix ? Certainement pas. La ville d’Assise, gardienne du souvenir émouvant de François Bernardone, ce jeune homme au cœur immense comme le monde, est devenue la capitale de la prière pour la paix mondiale et pour la réconciliation des peuples et des religions. Depuis lors, Assise est un bastion d’espérance pour l’humanité, où se rassemblent les chefs spirituels de toutes traditions, unis dans la prière pour la paix et pour la sauvegarde de la Création car l’un ne va jamais sans l’autre. La paix dans le cœur des hommes demeure ainsi, aujourd’hui comme hier, la condition sine qua non d’une véritable écologie intégrale.
Dans cette perspective, la koinonia biblique — ce mot grec qui apparaît une vingtaine de fois dans le Nouveau Testament pour désigner la qualité des relations fraternelles dans les premières communautés chrétiennes — prend tout son sens. Accueil, harmonie, respect, compassion, bienveillance, service, hospitalité et bonté : telles sont les valeurs que cette fraternité authentique incarne. Aujourd’hui, elle s’élargit pour inclure non seulement nos relations humaines, mais aussi notre rapport sacré avec la Création elle-même. La koinonia de notre époque devient celle du biou, celle de la vie et de la « maison commune », où l’homme est appelé à étendre son soin fraternel sur toute la nature. C’est là le défie ultime ! Saint François, il y a huit siècles, en a posé les fondations et nous montre toujours le chemin pour y répondre.
Il fallut attendre trente-quatre ans après cette « nomination », jusqu’au 13 mars 2013, pour qu’un nouveau souverain pontife ose, pour la première fois dans l’histoire de l’Église romaine, prendre le nom de François, en hommage au Poverello d’Assise. Ce choix, plus qu’un symbole, devenait le programme même de son pontificat, et le lointain Laudato Si’ du bienheureux François résonna à nouveau, vibrant jusque dans la conscience des puissants comme des humbles, dans l’écho des médias et dans tous les « ici » de la vie des hommes.
Ce fut aussi la première fois qu’un pape, dans son apparition inaugurale au balcon de Saint-Pierre, rejetait les fastes liturgiques, ne conservant pour tout habit que la sobre soutane blanche et, pour tout ornement, une simple croix battant au rythme de son cœur soucieux de l’état de l’Eglise et du monde. Oui, depuis le refus de la tiare et du sedia gestatoria par Paul VI jusqu’au dépouillement de François, nos souverains pontifes ont parcouru un long chemin sur les sentiers de la simplicité évangélique. Était-il d’ailleurs surprenant qu’un homme portant le nom de François ait choisi cette « sobriété » vestimentaire ? L’on pourrait presque imaginer qu’à son exemple, lorsque viendra pour ce pape le moment de quitter ce monde, il préfère être déposé humblement dans la terre, plutôt qu’enfermé sous l’épitaphe froide du marbre. Un tel nom impose ses engagements…
Prions :
Ô saint François d’Assise, toi qui, par ta humilité désarmante, n’as gardé qu’une seule « auréole patronale » — celle de l’écologie intégrale intercède pour nous auprès du Père céleste. Ton surnom de Poverello résonne encore parmi nous, porté par les vents désorientés d’une terre à bout de souffle. Il s’entend dans les chants étouffés des oiseaux, privés de la gaieté d’une voix polluée, et glisse sur les crêtes des ruisseaux, devenant torrents déchaînés… Elle enflamme nos cœurs venant des forêts consumées par le feu dévastateur … Viens à notre aide, nous t’en prions. Allège nos vies encombrées, éclaire nos espaces intérieurs saturés et accorde-nous un peu de ta clarté. Fais résonner encore une fois un de tes sermons légendaires, toi qui as su parler au loup, pourquoi pas à nous, qui le sommes si souvent les uns pour les autres…
Dans le baiser donné au lépreux, nous avons ressenti ta tendre humanité, une tendresse qui embrasse nos propres blessures et celles que nous infligeons à la Création. Que Dieu nous pardonne. Dans ta nudité sublime dévoilée sur la place d’Assise, nous avons entrevu cette beauté cachée en chacun de nous, sous le poids de nos faiblesses et de nos fragilités. Aide-nous, frère François, à en faire notre force.
Car depuis cet acte de courage, défiant les acquis orgueilleux du passé, tu es devenu un « François » pour chacun de nos lieux — nos maisons, nos champs, nos forêts et nos rivières, nos montagnes, nos mers, nos vergers et jardins, nos campagnes, nos villages et nos villes. Partout, toujours, on entend ton hymne à la Création, un chant dont les strophes traversent les âges, un écho qui nous appelle à une vie pur, simple et fraternelle.
Merci, enfin, saint François, de nous avoir montré, par ta vie séraphique, qu’être un « joyeux de la crèche » aux yeux d’un monde impitoyablement compétitif n’est nullement un signe de faiblesse ni d’échec social. Bien au contraire ! Peut-être est-ce là la seule voie de guérison pour un monde en défi de survie, un monde où nos plus grandes inventions, aux yeux du Créateur, apparaissent comme une douce folie.
Lui qui vit, règne, et sourit avec compassion à nos prétentions humaines… pour les siècles des siècles. Amen.
Père Robert Lorenc