Diaconat permanent
Découvrez quatre figures diaconales du christianisme.
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Le sens du service dans le diaconat permanent à travers la vie de quatre figures diaconales du christianisme : saint Étienne, saint Laurent, saint Vincent et saint François d’Assise.
Introduction
Au service du « Mystère de la lune »…
Depuis les débuts de l’Église, le ministère des Apôtres a souvent été au cœur de controverses et de récupérations. Certains se réclamaient de Paul, d’autres d’Apollos, ou encore de Pierre (cf. 1 Co 3, 4.22). Parallèlement, tandis que le ministère des presbytres émergeait peu à peu dans une Église en structuration, le diaconat s’est rapidement affirmé comme une vocation distincte et solidement enracinée dans la communauté des croyants, sous la direction des Apôtres et de leurs successeurs. Cette stabilité apparente trouve sans doute son origine dans la nature même de cette vocation : un appel au service des frères et des sœurs dans leurs besoins essentiels, qu’ils soient matériels ou spirituels. Là où le pouvoir divise, le service humble et désintéressé rassemble et unit.
Le renouveau du diaconat permanent dans l’Église de France invite à revisiter l’exemple des grands diacres du passé, figures emblématiques du service dans l’Eglise qui ont marqué son histoire par leur Sainteté et leur dévouement. Parmi eux :
• Saint Étienne, premier diacre et martyr, qui a uni la parole et l’action dans le service de la vérité, offrant sa vie pour le témoignage de l’Évangile.
• Saint Laurent, qui, en proclamant que les pauvres sont le véritable trésor de l’Église, a incarné le visage du Christ serviteur, même au cœur des persécutions.
• Saint Vincent et Saint François, qui ont enrichi l’héritage du diaconat par leur vision d’un amour universel envers la Création et un dévouement total.
Ces figures témoignent de la profondeur et de la noblesse de la vocation diaconale. Leur vie et leur mission constituent une invitation brûlante pour ceux qui souhaitent incarner un service authentique, désintéressé et profondément enraciné dans la foi. Ce type de service s’oppose naturellement aux luttes de pouvoir, souvent à l’origine de divisions au sein de l’Église, et devient un puissant vecteur d’unité, en construisant des ponts entre les communautés.
Ainsi, à l’exemple de leurs prédécesseurs, le ministère diaconal peut incarner l’antique vision de l’Église connue sous le nom de « Mystère de la lune », évoquée par le Pape François dans son introduction à l’Angélus du 26 décembre 2020, à l’occasion de la fête de Saint Étienne. D’après les métaphores cosmiques développées par Origène, St Ambroise, St Augustin mais aussi, St Éphrem le Syrien, St Jean Chrysostome ou St Bède le Vénérable, il s’agit de refléter la lumière du Christ dans le monde, à l’image de la lune qui réfléchit celle du soleil. Selon le pape, telle est la vocation des véritables témoins de la foi chrétienne, qui « brillent de la lumière de Jésus » tout en ne disposant pas d’une lumière propre. Dans cette perspective, la seule « éclipse » possible serait peut-être celle de la mort en martyr, où le disciple ne fait plus qu’un avec son Maître dans une union parfaite d’amour. Ce défi, bien qu’exigeant, reste accessible à ceux qui choisissent aujourd’hui de s’engager sur le chemin du diaconat permanent. À l’exemple des illustres témoins du passé, ces serviteurs ne poursuivent pas un « rang honorable » (cf. 1 Tm 3, 13), mais témoignent d’un désir profond de se donner totalement par amour pour le Christ, à qui tous appartiennent (cf. 1 Co 3, 23)
Père Robert Lorenc
Saint Étienne : premier diacre et premier martyr
Il était une fois « une sainte dispute… »(Ac 6,1-2)
Il existe des situations où un mal apparent semble préparer la voie à un bien plus grand. C’est ce que l’on appelle la Félix culpa (heureuse faute). L’histoire de l’Église regorge d’exemples en ce sens, et l’émergence de saint Étienne en est l’un des plus éclatants, tel que rapporté dans les Actes des Apôtres (6-8).
Depuis les débuts de l’Église, l’Esprit Saint suscite des hommes et des femmes d’exception aux moments critiques de son histoire, afin de contribuer à l’édification et au bon fonctionnement du « Corps mystique du Christ ». Cela s’est vérifié dès les premières tensions au sein de la jeune Communauté de Jérusalem, lorsque des disputes éclatèrent au sujet du traitement inégal des veuves hellénistes et juives.
En réponse à ce mal naissant, une « figure initiale » du diaconat fut établie. Sept hommes furent choisis pour répondre à cette crise en prenant en charge le service des tables, permettant ainsi aux Apôtres de se consacrer pleinement à la prière et à la prédication. Le premier d’entre eux, Étienne – dont le nom, Stephanos en grec, signifie « couronné » – devint le protodiacre. Bien que le terme diacre ne figure pas explicitement dans les Actes, Étienne en incarne la figure par excellence. Mais dans la grande histoire, Étienne est reconnu, vers l’an 34, comme le protomartyr de l’Église, c’est-à-dire son premier martyr dans le sens chrétien du terme. C’est pourquoi le mot « diacre » n’apparaît pas dans le descriptif du jour de sa fête liturgique dans l’ordo actuel, le diaconat n’étant pas encore une institution formalisée à son époque.
En effet, le nom qu’il portait semblait déjà annoncer une gloire plus éclatante que l’auréole des saints confesseurs à venir. La couronne qui lui fut réservée était celle du martyr, symbolisée par un diadème de lauriers. Associée à la palme et à la dalmatique rouge, vêtement liturgique des diacres martyrs, elle devint l’un des attributs génériques du martyre. Dès les premiers siècles, cette forme de Sainteté canonisée était considérée comme suprême, introduisant le supplicié au paradis presque d’office, parfois même sans baptême préalable, bien que cette exception fût rigoureusement encadrée.
Le statut scripturaire inébranlable de Saint Etienne
Mais Etienne, lui, a bénéficié d’une reconnaissance immédiate de « sa » Sainteté et pour cause. Contrairement à bien d’autres figures vénérées dans l’antiquité chrétienne, dont la fama sanctitatis s’est établie parfois bien après leur mort, le cas d’Étienne se distingue par une double attestation : celle de sa Sainteté déjà manifeste de son vivant (Ac 6, 8), et celle de son martyre (Ac 7, 60) ; les deux confirmés par les Saintes Écritures elles-mêmes. Ce témoignage scripturaire étant en soi la plus haute autorité pour la reconnaissance officielle de la Sainteté place son statut de saint et de martyr au-delà de toute contestation. Ce qui par conséquence lui a fait épargner le second procès, après celui devant le Sanhédrin le condamnant à mort par lapidation (Ac 7, 57-58) – celui de la canonisation.
Au temps de l’Église antique, l’enterrement d’un martyr, comme celui de saint Étienne (cf. Ac 8, 2 : “Des hommes pieux ensevelirent Étienne et le pleurèrent beaucoup ”), revêtait une signification profonde. La cérémonie funéraire, souvent présidée par l’évêque en présence de toute la communauté chrétienne, équivalait à une « canonisation expresse », reconnaissant immédiatement la Sainteté du défunt. La date de la célébration annuelle de sa mémoire fut retenue dans le calendrier local laquelle fut celle de sa naissance pour le ciel donc celle de son martyre. La tombe du martyr devenait alors un lieu de culte et de pèlerinage privilégié, source de nombreux miracles, ce qui renforçait le prestige spirituel de la communauté locale.
Cependant autant la relation entre l’episcopus et le diaconus, ainsi que le contenu de leur missions respectives constituèrent le sujet de la réflexion pastorale relative déjà aux écrits des Pères Apostoliques, tel Clément de Rome, Ignace d’Antioche ou la Didachè et le Pasteur d’Hermas, autant l’institutionnalisation des premiers martyrs diacres et de leur mémoire liturgique à l’échelle universelle, nécessita quelques siècles, excepté le cas d’Etienne présent déjà dans les Actes. Ce laps de temps fut nécessaire pour que l’Église acquière sa liberté d’expression après la fin des persécutions sous Constantin, et que des écrivains comme Eusèbe de Césarée, Ambroise ou Augustin puissent consigner par écrit et diffuser largement la mémoire des martyrs. Durant cette période intermédiaire, la tradition orale de ces martyrs joua un rôle essentiel dans la transmission de leur souvenir. Ainsi le récit de leur martyre étaient lu et raconté lors des assemblées autour des lieux de leur ensevelissement. Ces témoignages, portés par la foi des premières communautés, permettaient de conserver la mémoire vivante des héros de la foi et d’entretenir la dévotion des fidèles jusqu’à ce que leur mémoire soit intégrée aux célébrations liturgiques et à la vénération officielle de l’Église entière. Ainsi, le culte des martyrs, initialement local et spontané, devint progressivement une pierre angulaire de la liturgie chrétienne, contribuant à la formation d’une mémoire collective autour de ces témoins de la foi et à l’essor des pèlerinages sur leurs tombes, marquant une continuité entre la piété populaire et la reconnaissance ecclésiale.
Le martyre, ce témoignage ultime de la foi, a également laissé des traces indélébiles dans l’iconographie chrétienne. Saint Étienne y est représenté outre ses symboles « génériques » avec des attributs dits « spécifiques » qui reflètent les charismes de sa mission. Ainsi l’encensoir évoque son rôle de diacre, la pierre rappelle son supplice par lapidation, le livre désigne sa puissance d’évangélisation et l’église qu’il tient souvent dans ses bras symbolise son lien profond avec la Communauté de la toute jeune Église « en structuration ».
Le choix de saint Luc : une stratégie théologique et pastorale
Cependant, il est important de noter que la « construction pastorale » de la figure d’Etienne, telle qu’elle nous est transmise dans les Actes, semble résulter d’un choix intellectuel précis de saint Luc, auteur de ce texte fondateur. Ce dernier a, par un acte de narration inspiré, présenté ce disciple comme une figure paradigmatique du témoin du Christ et du « diacre ».
1. Un modèle d’éloquence et de foi
Déjà avant son martyre, Étienne est le seul de Sept à se voir doté par saint Luc d’un double épithète : d’un « homme rempli de foi et de l’Esprit Saint » (Ac 6, 5) et « rempli de grâce et de puissance de Dieu » (Ac, 6,8) alors que tous devaient l’être pour que les Apôtres leur imposent les mains. Il s’en distingue ainsi comme « primus inter pares » de leur compagnie (le premier parmi ses pairs). Son discours face au Sanhédrin (Ac 7) est l’un des plus longs et des plus riches des Actes. Il témoigne d’une parfaite maîtrise des Écritures, liant l’histoire d’Israël à son accomplissement en Jésus-Christ.
2. Un imitateur du Christ
La mort d’Étienne, telle qu’il est relatée dans les Actes des Apôtres (Ac 7), fait partie intégrante de l’image construite de son martyre et contient des parallèles explicites avec la Passion du Christ. Sa prière pour ses bourreaux – « Seigneur, ne leur compte pas ce péché » (Ac 7, 60) – et sa vision de Jésus à la droite du Père évoquent directement l’attitude du Christ en croix. Toute sa vie, Étienne refléta l’image parfaite d’un disciple du Christ. Le Pape François en a résumé poétiquement la portée dans un commentaire sur saint Étienne, soulignant l’appel des chrétiens à transformer le monde : « Saint Étienne, alors qu’il recevait les pierres de la haine, rendait des paroles de pardon. Ainsi, il a changé l’histoire. »
3. Un martyre fondateur pour l’Église
La mort d’Étienne marque un tournant dans les Actes des Apôtres. Elle provoque la dispersion des disciples hors de Jérusalem, contribuant à l’expansion de l’Église (Ac 8, 1-4). Il devient ainsi, selon le Pape Benoît XVI, un instrument de la mission apostolique, même au-delà de sa mort conformément à cette réponse donnée par Tertulian à ses adversaires : « Nous nous multiplions à chaque fois que nous sommes moissonnés par vous : le sang des chrétiens est une semence » (Apologetico 50, 13).
Conclusion
Certes, quelques-uns pourraient prétendre que saint Étienne a outrepassé les limites de sa mission. Alors qu’il a été choisi avec les six autres pour le service des tables, il s’en est attribué aussi celui de la kerygme réservée à la base aux apôtres. D’où d’ailleurs la raison initiale du diaconat . Mais peut-on se taire lorsqu’il s’agit de donner le témoignage à la Vérité ? Selon le Pape Benoit XVI, c’est même « la chose la plus importante à noter que, outre les services caritatifs, Etienne exerce aussi un travail d’évangélisation à l’égard de ses compatriotes, des « hellénistes »… Par là, le Saint-Père souligne dans sa fameuse catéchèse sur saint Etienne que l’histoire du Protodiacre « nous enseigne qu’il ne faut jamais séparer l’engagement social de la charité de l’annonce courageuse de la foi », que « charité et annonce vont toujours de pair ». Ce défi, Étienne l’a relevé à la hauteur des apôtres en payant, comme eux, le prix le plus fort. Mais ce geste insolite de sa part ouvrit par la même la voie à l’annonce et à la prédication de la Parole de Dieu pour tous les diacres à venir avec tout ce que cela puisse comporter comme la gloire du martyre et tous les bienfaits qui découlent de leur ministère. Car la mort en martyr du premier diacre Étienne aussi atroce qu’elle ne soit fut aussitôt la « semence miraculeuse » pour la naissance spirituelle de celui devant qui les témoins (les auteurs) de l’exécution illégale ont déposé leurs vêtements (Ac 7, 58) – un certain Saul,- futur Paul, l’apôtre des nations.
La fête liturgique de saint Étienne, célébrée le 26 décembre, au lendemain de Noël, peut être légitiment perçue comme celle de tous les appelés au service. Elle invite chaque membre de l’Église, quel que soit son rang ou sa mission, à se rappeler qu’il est avant tout appelé à servir, à l’image du Christ venu « non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mt 20, 28). Saint Étienne, en tant que premier de la cordée des diacres et des martyrs, inaugura une lignée de saints diacres, témoins de l’universalité de ce service ecclésial spécifique.
Après la mort de saint Étienne, Philippe et les cinq autres élus et ordonnés par les Apôtres poursuivirent la mission de service (cf. Ac 8, 5-12 ; 27-40). Dans un geste remarquable, Philippe baptisa même l’eunuque éthiopien, semblant ainsi élargir ses compétences pastorales au baptême. Ce geste enrichit et complète le rôle liturgique des futurs diacres dans l’Église apostolique, illustrant la souplesse et l’adaptabilité du service diaconal aux besoins de la mission ad hoc. Aujourd’hui encore, ceux qui reçoivent l’imposition des mains prolongent cette mission, guidés par l’Esprit Saint, perpétuant une tradition vivante et essentielle au sein de l’Église.
Saint Laurent, le « Grand Aumônier » du christianisme
Saint Laurent, un témoin véridique d’une Église persécutée
Saint Laurent, diacre et martyr du IIIᵉ siècle, demeure l’une des figures les plus vénérées de l’Église primitive, particulièrement à Rome, et pour cause.
Son service dévoué auprès des pauvres, exercé dans un contexte de persécutions intenses, fait de lui un modèle intemporel de charité chrétienne. Né en Espagne et rapidement remarqué pour sa piété et son zèle, Laurent fut choisi par le Pape Sixte II (+ 6 août 258), grand bâtisseur de l’Église de l’époque, pour occuper la charge de diacre principal. Cette responsabilité le plaça à la tête de l’administration des biens de l’Église de Rome et de leur distribution aux nécessiteux. Dans une Rome marquée par l’injustice sociale et la pauvreté, Laurent incarna pleinement la vocation de l’Église à être « l’avocate des pauvres ».
La persécution de l’empereur Valérien en 258 marqua un tournant tragique dans sa vie. Après l’exécution du Pape Sixte II, Laurent fut sommé de remettre les trésors de l’Église aux autorités impériales. Fidèle à sa mission et à sa foi, il rassembla les pauvres et les malades qu’il avait secourus et les présenta comme le véritable trésor de l’Église. Ce geste audacieux et hautement symbolique témoigna de son attachement indéfectible aux valeurs chrétiennes. En représailles, il fut condamné au supplice : selon la tradition, il subit son martyre sur un gril, endurant cette épreuve avec une sérénité exemplaire, reflet de sa foi inébranlable.
« Il est né pour le ciel » le 10 août 258, avec la même spontanéité et irréfutabilité qu’Étienne, rejoignant dans la gloire du martyre son bien-aimé Père et évêque, le Pape Sixte II, auquel il était filialement attaché et qu’il admirait profondément. Par son courage et son sacrifice, Saint Laurent est devenu un exemple éclatant de charité et de fidélité pour l’Église universelle. Son souvenir demeure une source d’inspiration pour les chrétiens du monde entier particulièrement ceux qui tiennent bon face aux persécutions et les épreuves du quotidien subies par l’amour du Christ.
Saint Laurent est-il le premier « Grand Aumônier » de Rome ?
Saint Laurent peut effectivement être considéré comme le véritable premier « Grand Aumônier » de Rome , non seulement pour son rôle de gestionnaire des biens ecclésiaux, mais aussi pour son engagement concret envers les exclus de la société, jusqu’à offrir pour eux sa vie en martyr. En faisant de la charité une pierre angulaire de son ministère, il a posé les bases d’une vision chrétienne de la justice sociale, qui continue d’inspirer aujourd’hui. Son ministère donne ainsi un sens chrétien et historique au terme même d’« aumônier ». Aujourd’hui, au sens plus large, un aumônier est une personne habilitée par une autorité religieuse à apporter des soins spirituels dans des contextes variés : cliniques, militaires, scolaires ou face à la menace de la mort.
Le nouveau Dicastère de la Charité au Vatican, également connu sous le nom d’Aumônerie Apostolique, constitue une expression particulière de la « miséricorde » de l’Église, se rapprochant de manière significative de sa préfiguration dans le ministère de Saint Laurent. Quelle que soit la forme que prend cette mission, l’aumônerie reste toujours un reflet, certes imparfait, de la Miséricorde de Dieu. Elle s’exprime auprès des plus pauvres, à de nombreux niveaux, à travers les multiples initiatives ecclésiales et humanitaires. Ainsi, l’histoire de l’institution ecclésiale liée à l’aumônier, tout comme sa dimension étymologique (du latin eleemosynarius, « celui qui est chargé de distribuer l’aumône »), revues à la lumière du témoignage de Saint Laurent, rappellent que l’Église est appelée à voir le Christ dans les pauvres et à reconnaître en eux la richesse la plus authentique de son témoignage.
Saint Laurent connu « per Patrum Virorumque Sanctorum scripta »
Alors que la source principale du savoir concernant saint Étienne était scripturaire, celle des Actes, témoignant ainsi de « sa » Sainteté de manière irréfutable, la splendide silhouette spirituelle de saint Laurent émerge entièrement des sources dites « secondaires », qui nous parviennent par une autre voie antique de l’Église, tout aussi respectable que fiable. Nous pensons ici au milieu relatif aux Pères de l’Église et à tous les autres saints hommes qui ont médité et développé le charisme du service dit « diaconal » à travers la vie de saint Laurent. La classification de ces sources nous révèle déjà l’importance particulière de saint Laurent et de son ministère à tous les niveaux de la jeune Église de Rome en persécution. Ainsi la mission et le martyre de saint Laurent, sont décrits dans plusieurs sources historiques, liturgiques et hagiographiques. Ces écrits, bien que parfois mêlés de légendes, permettent de mieux comprendre sa vie, son rôle dans l’Église et les circonstances de son martyre.
Comprendre l’ADN ecclésial du diacre Laurent
Quelle que soit l’ampleur du courage manifesté par Saint Laurent dans son martyre, on n’y trouve aucune fausse note : ni provocation à l’égard de ses persécuteurs, ni recherche de gloire personnelle. Ces attitudes, si elles avaient existé, auraient pu fragiliser son statut de martyr et de saint. Au contraire, sa destinée glorieuse lui fut réservée par la grâce divine et semble même préfigurée par le nom qu’il portait. En effet, Laurent (Laurentius en latin) évoque le laurier, cet élément emblématique des couronnes qui ceignent la tête des martyrs dans l’iconographie chrétienne. Associé à l’auréole, le laurier forme la coiffe des saints par excellence, symbole de leur victoire spirituelle. Laurent de Rome est ordinairement représenté avec des attributs spécifiques suivants : dalmatique rouge – robe liturgique propre au ministère de diacre, un grill tenu dans une main et le livre des évangiles tenu dans l’autre. C’est à cause du genre du martyre subit sur le grille qu’il est devenu patron des pompiers, des rôtisseurs et des charbonniers. A cause du feu qui le consomma en brûlant sa chair il s’est forgé la réputation de guérir les brûlures et de défendre contre les incendies. Le charisme spécifique de Saint Laurent, ancré dans son service auprès des pauvres, a permis à « sa » Sainteté de traverser les siècles. Elle demeure aujourd’hui encore palpable, audible et presque « gustative » à travers l’action de ceux et celles qui ont pris le relais, continuant à prendre soin du plus grand trésor de l’Église, après l’Eucharistie : le « Graal des pauvres ».
Conclusion
Saint Laurent incarne par conséquent la figure emblématique du service diaconal « en progression », tel qu’il se définit et se structure au fil des premiers siècles de l’Église. La spécificité de son ministère diaconal découle de son double rapport fondamental, constitutif de l’identité propre du diacre : un rapport privilégié à son évêque, le Pape Sixte II en occurence et un rapport tout aussi essentiel aux pauvres.
Bien que sa proximité avec le pape l’ait placé dans une position privilégiée par rapport aux autres diacres de Rome, Saint Laurent ne semble pas avoir porté le titre d’archidiacre. Cependant, ce n’est pas le nom de sa fonction qui définit son ministère, mais bien ce qu’il accomplit et la manière dont il le réalise. C’est par son service exemplaire qu’il contribue à forger l’identité future de ce ministère, qui sera connu sous le nom de diaconat, et dans certains cas, d’archi-diaconat.
Dès lors, ces deux dimensions — le rapport au pauvre et à l’évêque — deviendront comme les « deux poumons » spirituels du diacre, indispensables pour accomplir sa mission de manière digne et conforme à sa vocation. Ce double rapport, que Saint Laurent a incarné de façon exemplaire, constitue ainsi l’ADN ecclésial du diaconat, une identité appelée à se transmettre aux générations futures.
Vincent de Saragosse : un Saint à caractère de feu
Le Sceau christique de la Victoire
Le martyre de saint Vincent vient s’apposer comme un sceau final sur la longue période des persécutions, marquant la victoire de la Croix sur la haine que le monde judéo-païen manifestait à l’égard de la nouvelle religion émergente durant les quatre premiers siècles de notre ère.
En effet, à peine neuf ans séparent la mort en martyr de saint Vincent de l’édit de Milan, en 313, qui autorisa les chrétiens à pratiquer librement leur culte. Ensuite, 76 ans séparent cette mort glorieuse de la désignation du christianisme comme religion officielle de l’Empire par l’empereur Théodose en 380. Ainsi, le martyre de saint Vincent subi à Valence (en Espagne) en 304 peut être symboliquement considéré comme « l’apothéose » spirituel du martyr chrétien, qui fut le pain quotidien de l’Église primitive et en même temps sa « semence » la faisant multiplier durant les quatre premiers siècles dans le bassin méditerranéen.
D’ailleurs, la signification latine du nom Vincent, qui signifie « vainqueur », illustre à merveille cette victoire du christianisme, religion d’un monde nouveau fondé sur l’amour d’un Dieu unique, de son Envoyé Jésus et des frères, sur un monde polythéiste romain marqué par les arènes, l’esclavage et la guerre.
Saint Vincent : un témoin héroïque de la foi
Saint Vincent, enfant de l’Église d’Espagne et l’un des premiers et des plus illustres témoins de la foi chrétienne dans ce pays, exerça son ministère de diacre dans un contexte de persécutions particulièrement intenses. Sous le règne de Dioclétien, les chrétiens étaient contraints d’abjurer leur foi sous peine de torture ou de mort. En tant que diacre, Vincent assistait l’évêque Valère dans la prédication et la gestion des biens de l’Église. Lorsqu’ils furent arrêtés, Vincent assuma le rôle de porte-parole, proclamant avec fermeté sa foi devant les autorités romaines. Son courage impressionna ses persécuteurs, mais leur résistance fut encore davantage mise à l’épreuve par sa sérénité face aux souffrances. Même lorsqu’il fut soumis à des tortures atroces – flagellation, chevalet, et finalement brûlé sur un gril – Vincent demeura fidèle au Christ.
Selon les récits hagiographiques, il accueillit son martyre avec une paix surnaturelle, contribuant ainsi à la conversion de certains de ses bourreaux. Cette victoire spirituelle sur la souffrance et la mort démontre que la foi chrétienne, même dans les situations les plus extrêmes, ne peut être brisée par la violence humaine. Comment, en effet, ne pas entendre dans le récit du martyre de Vincent, ainsi que dans ceux de ses glorieux prédécesseurs Étienne et Laurent, la voix évangélique du Christ rassurant ses disciples face à la perspective des persécutions à venir : « Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer » (cf. Luc 21, 12-19).
Saint Vincent : un modèle de service diaconal
Le ministère diaconal de saint Vincent voit le jour à une époque où, malgré les persécutions externes, un nouveau mal interne menace le tissu mystique du Corps du Christ, rappelant les tensions liées aux veuves évoquées dans les Actes des Apôtres trois siècles plus tôt. Cette fois, la tension concerne le conflit naissant entre le presbytérat et le diaconat. Bien que l’autorité de l’évêque demeure incontestable et référentielle pour l’ensemble de la communauté ecclésiale, le problème délicat de la préséance liturgique et sociale entre les prêtres et les diacres agite l’Église.
Au début du IVe siècle, bien que toujours sous le joug des persécutions, l’Église dispose déjà d’une structure liturgique et hiérarchique tri-polaire bien établie : l’évêque, les prêtres et les diacres. Le conflit découle cependant de l’importance sociale des diacres au sein de la communauté, notamment grâce au pouvoir que leur confère la gestion des biens et des ressources. Ce conflit est également nourri par l’expansion du presbytérat : les communautés grandissent, les lieux de culte confiés aux prêtres se multiplient, et les paroisses s’organisent, en ville comme à la campagne. Il faudra l’autorité du Concile de Nicée, en 325, pour intervenir contre les diacres prétendant recevoir la communion avant les prêtres et la leur distribuer. Le Concile rappela que les diacres devaient se soumettre à la préséance des prêtres.
On peut en effet se demander à juste titre si les persécutions que l’Église antique subissait de plein fouet de la part des ennemis extérieurs ne variaient pas également en raison de ses conflits internes, affaiblissant l’Église, portant un contre-témoignage de l’intérieur et attristant l’Esprit Saint. Quoi qu’il en soit, face à ce nouveau déchirement, purement lié à l’orgueil humain, le ministère de saint Vincent s’enracine toujours dans deux dimensions fondamentales du diaconat : l’assistance à l’évêque et le service des plus démunis. Par là même, il semble restaurer, à son échelle, l’esprit ecclésial en résonance avec l’appel du Christ : « Parmi vous, il n’en sera pas ainsi… » (Mt 20, 26).
Son rôle ne se limitait pas à une fonction administrative ou liturgique, mais s’étendait au soutien spirituel et matériel des fidèles. Sa fidélité à l’évêque Valère pour qui le diacre Vincent demeurait un « bouclier » illustre le lien essentiel entre le diacre et son évêque, lien au cœur de la mission diaconale, hier comme aujourd’hui, non pour ceux qui cherchent le pouvoir, mais pour ceux qui se dévouent au service. Son ministère ecclesialement correct et exemplaire confirme une fois de plus que là où le pouvoir divise, le service rassemble. Saint Vincent a scellé cette vérité par l’effusion de son propre sang pour Celui qui pria : « Que tous soient un… » ( Jean17,20).
Connaissez-vous le secret du « bon Vin » de saint Vincent ?
Quelle que soit la justification du patronage officiel de saint Vincent sur le vin, plusieurs explications se dégagent :
* Étymologique : son nom peut être décomposé en deux mots, « vin » comme sang de la vigne et « vin » devenant pendant l’eucharistie Sang du Christ.
* Liturgique : en tant que diacre, il avait la charge de verser le vin dans le calice lors de la célébration eucharistique.
* Festive : le service diaconal de la table comprenait par extension le service du vin.
* Sanitaire : une mission semble avoir été confiée à Vincent par l’évêque de Saragosse Valère d’élucider les raisons de la surconsommation du vin dans la région espagnole.
Ainsi, la tradition a associé saint Vincent à une véritable « théologie » du bon vin. Pour en percevoir la profondeur, il faut affiner notre lecture des témoignages hagiographiques qui nous révèlent la « robe », « le caractère », le « goût » et « l’arôme « que dégage « le bon Vin de la vigne spirituelle » que sont la vie et la mort de saint Vincent.
Comme pour saint Laurent, la figure lumineuse de saint Vincent nous est parvenue exclusivement à travers des sources « secondaires », issues de la littérature chrétienne du IVe siècle et des périodes encore plus tardives. La documentation relative à ces vaillants martyrs, tels que saint Laurent et saint Vincent, apparaît donc après l’ère des Pères Apostoliques, ces successeurs directs des apôtres ayant vécu entre 50 et 150. Leur contexte naturel est celui des Pères apologistes, des théologiens et des Pères de l’Église, qui ont préservé et développé la fama sanctitatis (réputation de sainteté) ainsi que le culte des diacres martyrs.
Saint Vincent : quand les proverbes résonnent avec le baptême
Les proverbes populaires associés à la fête de Saint Vincent, célébrée le 22 janvier, promettent que si le soleil brille ce jour-là, la récolte de vin sera bonne :
« À la Saint Vincent, clair soleil nous promet du bon vin. »
ou
« Si saint Vincent est clair et beau on boira plus de vin que de l’eau »
À première vue, ces dictons semblent simplement prévoir une année prospère pour les vignerons. Mais en les considérant à travers le prisme de la foi, ils deviennent une invitation à réfléchir sur la transformation spirituelle et par la même ils deviennent des « portillons d’entrée » vers le Mystère de Royaume. Le vin, symbole de joie et de vie dans la Bible, renvoie directement à l’Eucharistie, où il devient le Sang du Christ. Ainsi, la lumière du soleil évoquée dans le proverbe rappelle la lumière divine qui éclaire notre chemin et transforme notre vie, tout comme la vigne a besoin du soleil pour produire un vin de qualité. De la même manière que la clarté du jour de Saint Vincent détermine la qualité du vin, la lumière de la foi illumine notre existence, nous permettant de répondre à nos engagements baptismaux. En effet, lors du baptême, l’eau tiède, symbole de purification, est appelée à se transformer en vin nouveau, signe de la vie divine en nous.
En résumant, les proverbes populaires associés aux Saints ne sont jamais de simples observations météorologiques ou agricoles. Ils témoignent de la profonde interconnexion entre la vie terrestre et la vie céleste. Ce lien entre la nature et la spiritualité est particulièrement évident dans l’utilisation des éléments — la lumière, la vigne, l’eau et le vin — qui, sous leur apparence matérielle, portent un message spirituel. Ces dictons populaires sont aussi une invitation à voir au-delà de la surface des choses et à reconnaître la présence divine dans chaque aspect de notre quotidien. Ils nous rappellent que la Création tout entière est appelée à glorifier Dieu et que nous, en tant que membres de cette Création, sommes également appelés à transformer notre vie en offrande vivante a l’image du « froment » ignatien , et du vin offert sur l’autel.
Ainsi, les proverbes liés aux Saints, tels que Saint Vincent, sont bien plus que des prédictions agricoles. Ils sont des rappels constants de notre vocation à vivre en harmonie avec la Création et à chercher la lumière divine dans nos vies. Ces dictons, apparemment anodins, deviennent des « petites passerelles » entre la terre et le ciel, nous rappelant que toute bénédiction matérielle est un avant-goût du banquet éternel où le vin de la vigne du Seigneur enivrera nos âmes dans la plénitude du Royaume des cieux.
Conclusion
Ces sources, mêlant récits historiques, homélies, poésie légendes hagiographiques et même les proverbes populaires dressent un portrait riche et profond de saint Vincent de Saragosse. Cependant, le plus beau témoignage de son héroïsme demeure sa vie consacrée aux pauvres et à son évêque. Enrichies par les catéchèses des deux derniers papes, François et Benoît XVI, ces sources soulignent son rôle dans la tradition chrétienne en tant que modèle de foi, de courage et de service diaconal, jusqu’au sacrifice ultime, non seulement pour ceux qu’il aimait, mais aussi, comme le font les martyrs, pour ses propres bourreaux.
Le martyre de saint Vincent dépasse le témoignage de foi : il est un appel à transformer le monde par le service. Par son courage face aux persécutions et son dévouement à l’Église, il reste un modèle intemporel pour les diacres. Son exemple les invite à devenir des ponts entre l’Église et la société, incarnant la charité et la justice dans leur engagement quotidien. Qu’ils œuvrent en paroisse, dans des structures sociales ou hospitalières, les diacres d’aujourd’hui trouvent en saint Vincent une source d’inspiration pour vivre leur vocation avec audace et générosité. Son témoignage leur rappelle que la véritable victoire de la foi réside dans l’amour et le don total de soi pour le Christ et pour les autres.
La métaphore œnologique utilisée précédemment pour illustrer le patronage spirituel de saint Vincent de Saragosse évoque également une transition symbolique vers une nouvelle ère, où le martyre de sang cède la place au martyre de la charité. Tandis que le triomphe du christianisme éclaire déjà l’horizon d’une Église autrefois persécutée et éprouvée, le concept même de Sainteté évolue. Une nouvelle génération de saints se lève : les confesseurs. Désormais, l’héroicité de la pratique des vertus évangéliques ainsi que l’offrande de la vie prendront la forme quotidienne d’un « diaconat universel » au sein de l’Église, exercé au service de Dieu, de l’humanité et de la Création, par tous les hommes et les femmes de bonne volonté. Saint François d’Assise en sera l’une des plus éminentes incarnations.
Saint François d’Assise : le Poverello
L’étrange « palmarès » du Poverello
Le martyre, dans l’histoire chrétienne, est souvent associé à l’effusion de sang et à la mort héroïque pour la foi. Il constitue d’abord un noble héritage de l’Église persécutée durant les premiers siècles, au cours des persécutions dites « officielles ».
Pourtant, ce « palmarès » n’a jamais cessé de s’étoffer au fil des siècles, à mesure que l’annonce de la Parole élargissait son champ d’action dans le monde entier, conformément à l’ordre évangélique du Christ : « Allez, faites de toutes les nations des disciples… » (Mt 28, 19).
La liberté retrouvée avec l’édit de Milan en 313 et la proclamation du christianisme comme religion officielle par Théodose en 380 n’ont pas mis un terme aux persécutions. Certes, les motifs ont changé : le christianisme n’était plus considéré comme une religion menaçant l’autorité impériale, mais le sang des martyrs continuait de couler, devenant cette « semence de l’Église » selon la célèbre formule prophétique de Tertullien. Si les formes du martyre, les motivations des persécuteurs et leur visage ont évolué, la persécution n’a jamais disparu. Les méthodes employées, quant à elles, se sont adaptées aux contextes géopolitiques et aux époques où se poursuivait l’annonce de la Parole.
Cependant, à côté du martyre du sang, de nouvelles formes de martyre se sont progressivement imposées dans l’Église, particulièrement après la liberté retrouvée, mais aussi sous l’influence croissante du pouvoir impérial sur les affaires ecclésiales. On peut ainsi évoquer le martyre blanc, souvent lié à la déportation des responsables de l’Église en opposition à l’autorité impériale ou à des tensions internes. Surtout, on voit émerger le martyre de la charité, concept que saint Vincent de Paul défendra bien plus tard. Ce martyre consiste à offrir sa vie, non pas dans un sacrifice sanglant imposé par les ennemis de l’Église, mais à travers un engagement total au service de Dieu et du prochain, mettant sa vie en péril par amour pour le Christ et pour l’humanité. Saint François d’Assise incarne pleinement cette dimension du martyre de la charité, conjuguée à une vocation de service qui dépasse les frontières des ministères ordonnés. En se plaçant au service des plus pauvres et en adoptant un style de vie radicalement évangélique, il devient le symbole du « diaconat universel », un appel adressé à tous les fidèles, indépendamment de leur statut ou de leur vocation, à servir avec humilité et amour. La dernière mesure canonique concernant la reconnaissance officielle de la Sainteté, approuvée par le Pape François et portant le nom d’“oblatio vitae” (l’offrande de la vie), s’avère être une apothéose concrète de cette sensibilité pastorale au sein de l’Église.
Savez-vous pourquoi Saint François est un modèle du « martyre de la charité » ?
La conversion de François d’Assise marque le début de son martyre de la charité. Son renoncement à la richesse et au statut social représente une véritable mort à lui-même, une vraie kénose. Lorsqu’il se dépouille de ses vêtements devant l’évêque en déclarant : « Je n’ai d’autre père que celui qui est aux cieux », François témoigne d’un engagement total au service de Dieu et des pauvres. Ce geste n’est pas simplement symbolique : il annonce une vie d’abandon et de service, dans laquelle il choisit de partager la souffrance des plus démunis, incarnant le martyre de la pauvreté volontaire. Ainsi le choix de François de servir les lépreux, les exclus de la société et l’Eglise en décadence, illustre son martyre de la charité au quotidien. Il embrasse ces malades que tous fuient, non par simple compassion humaine, mais par amour du Christ. Ce service n’est pas sans douleur : il exige un renoncement constant à son confort personnel et l’acceptation des souffrances physiques et morales. En se mettant au service des plus pauvres, François témoigne de l’amour divin, un amour qui transcende les barrières sociales et humaines, et qui se donne sans réserve. Il meurt d’ailleurs d’épuisement, consumé par cet amour et ce service incessant. C’est à travers la Dame « Pauvreté », qu’il choisit librement et volontairement d’épouser, que se manifesta en lui une charité universelle, embrassant chaque être humain comme un frère ou une sœur, et même la Création tout entière.
St François : une icône du « diaconat universel »
Bien que les avis soient partagés sur la question de savoir si saint François d’Assise a réellement été ordonné diacre au sens sacramentel, la Tradition lui attribue ce titre, car il en incarne pleinement l’esprit. Une scène rapportée par la Tradition, celle de la Messe de Noël où François lit l’Évangile et prêche ensuite, a contribué à l’inscrire dans la mémoire collective des fidèles comme diacre. Le Pape François semble confirmer cette idée lorsqu’il explique le choix de son propre nom pontifical :
« En lien avec les pauvres, j’ai pensé à François d’Assise. C’est ainsi que m’est venu dans le cœur le nom François d’Assise, dont la tradition nous dit qu’il avait été diacre. Il est pour moi l’homme de la pauvreté, l’homme de la paix, l’homme qui aime et prend soin de la création. Il est l’homme dont les diacres doivent s’inspirer. »
Mais François avait-il vraiment besoin d’être ordonné pour lire l’Évangile et prêcher, alors que le diaconat des premiers siècles s’était profondément enfui dans les couches liturgiques du service en Occident ? D’ailleurs, la mission fondamentale du futur ordre mendiant franciscain n’était-elle pas justement de prêcher l’Évangile, c’est-à-dire de le lire et de l’interpréter pour toute la Création ?
En effet, le diacre est traditionnellement celui qui sert la communauté, en particulier les plus vulnérables. François, en choisissant de vivre parmi les pauvres et en fondant un ordre basé sur l’humilité et le service, manifeste cette vocation diaconale. Chaque acte de sa vie, qu’il s’agisse de réparer des églises délabrées ou de prêcher la paix, s’inscrit dans une logique de service universel. En cela, il devient un modèle pour tous, religieux ou laïcs, de ce que signifie être au service des autres par amour de Dieu. Mais François ne limita pas son service à l’intérieur de la communauté chrétienne. Son célèbre voyage en Terre Sainte pour rencontrer le sultan Malik al-Kamil illustre sa volonté de servir et de témoigner de l’amour universel, même envers ceux considérés comme des ennemis. Ce geste dépasse les distinctions religieuses et politiques, incarnant l’idée d’un « diaconat universel », où l’amour et le service transcendent toutes les barrières humaines.
Il ira encore plus loin en dépassant même les limites terrestres de son service. Le « Cantique des créatures », composé par François d’Assise peu avant sa mort, témoigne de son amour profond pour toute la Création. Cet hymne, qui loue Dieu à travers les éléments naturels et cosmiques, est une invitation à un respect sincère et profond de la Création, perçue comme un don divin. Aujourd’hui, l’Église, à travers l’encyclique Laudato Si’, puise dans cet héritage franciscain pour rappeler l’importance cruciale de la protection de l’environnement, un service devenu essentiel pour le bien commun. Peut-on donc s’étonner que le Pape François, en choisissant ce nom, a voulu rappeler que saint François d’Assise est une source d’inspiration pour les diacres et pour tous les chrétiens. Dans ses paroles : « Il est l’homme de la pauvreté, l’homme de la paix, l’homme qui aime et prend soin de la création », le pape souligne que le témoignage de François est un appel à chaque fidèle à vivre un service désintéressé. Cette vocation au service, à l’image du diaconat, est aujourd’hui essentielle pour une Église qui veut être proche des pauvres et des marginalisés.
Saint François est un héritage pour l’Église universelle
Le testament spirituel et pastoral de saint François émerge, se peaufine, se transmet et s’invite dans la vie de l’Église de notre temps à travers une littérature très riche, qui dévoile et actualise la figure du “frère universel”, incarnée par saint François. Contrairement aux trois figures diaconales issues de l’Antiquité de l’Église, dont la fama sanctitatis est confirmée soit par les Actes soit par l’autorité des Pères de l’Église, le vaste corpus documentaire relatif au Poverello mérite une attention particulière. Il constitue en lui-même un témoignage inestimable de son aura intemporelle. Voici un résumé très général des principales sources historiques sur la vie de saint François d’Assise, réparties en plusieurs catégories.
1. Écrits contemporains de François lui-même
2. Témoignages des compagnons de saint François
3. Biographies médiévales
4. Documents officiels de l’Église, dont les plus importants sont :
* Bulle de canonisation “Mira circa nos” (1228) par le Pape Grégoire IX.
* Décisions et lettres papales concernant l’Ordre franciscain.
* Actes des chapitres généraux de l’Ordre, rapportant des décisions et anecdotes concernant la vie et l’héritage de François.
* Les catéchèses des papes et les documents pontificaux actuels (www.vatican.va)
Ces sources, bien qu’elles présentent différentes perspectives, permettent de retracer fidèlement la vie de saint François et son influence spirituelle, depuis ses premiers pas dans la foi jusqu’à son héritage durable dans l’Église.
Conclusion
Traditionnellement, le martyre chrétien désigne le sacrifice suprême : la mort pour la foi. Cependant, dès les premiers siècles, l’Église a reconnu d’autres formes de martyre, notamment celui de la foi vécue dans l’engagement quotidien, souvent au prix de souffrances morales, physiques ou sociales. Saint François d’Assise incarne parfaitement ce martyre silencieux, caractérisé par l’offrande totale de sa vie à Dieu dans le service des autres. En renonçant à sa richesse et à son statut social, il se sacrifie non pas par le sang, mais par l’abandon de toute forme de pouvoir et de confort.
Ainsi, saint François demeure une figure emblématique du martyre de la charité et du diaconat universel. Face aux défis écologiques de notre époque, son modèle de Sainteté reste une icône intemporelle, montrant que le service de la Création est indissociable du service à Dieu et aux hommes. En vivant l’Évangile de manière radicale, il a non seulement témoigné d’une foi profonde, mais a aussi rappelé à l’Église que son essence repose sur le service et l’amour.
Si le Pape Benoît XVI, dans sa catéchèse du 27 janvier 2010, présente saint François d’Assise comme « un authentique géant de la sainteté, qui continue de fasciner de nombreuses personnes de tous âges et de toutes religions », c’est parce que sa naissance, survenue à la fin de l’année 1181 ou au début de 1182 à Assise, est perçue comme un véritable « lever de soleil » pour reprendre, avec le pape, l’image utilisée au sujet de saint François par Dante Alighieri dans La Divine Comédie (Paradis, Chant XI).
Peut-on alors réellement parler de la « mort » de François ? Toute sa vie fut une union profonde avec le Christ souffrant et agissant, un lien particulièrement manifeste à travers les stigmates qu’il reçut, reproduisant dans son corps les plaies de la Passion. Dès lors, sa mort, survenue en 1226, fut imprégnée d’un avant-goût de la Résurrection, laissant l’impression que François reste vivant parmi nous à jamais. Son « soleil » continue d’illuminer les chemins de l’Église, rappelant que la Sainteté passe par l’humilité, le don total de soi et le service, à l’image du Christ serviteur. En prônant la paix et en se mettant au service des plus vulnérables, François nous rappelle que chaque chrétien, qu’il soit ordonné diacre ou non, peut devenir un « diacre universel », témoin de la Miséricorde de Dieu pour le monde entier.
Palais pontifical de Castel Gandolfo
Mercredi 11 août 2010
Le martyre
Chers frères et sœurs,
Aujourd’hui, dans la liturgie, nous rappelons sainte Claire d’Assise, fondatrice des Clarisses, figure lumineuse dont je parlerai dans l’une des prochaines catéchèses. Mais au cours de cette semaine — comme je l’avais déjà mentionné dans l’Angelus de dimanche dernier — nous rappelons également la mémoire de plusieurs saints martyrs, aussi bien des premiers siècles de l’Eglise, comme saint Laurent, diacre, saint Pontien, Pape, et saint Hippolyte, prêtre; que d’une époque plus proche de nous, comme sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, Edith Stein, patronne de l’Europe, et saint Maximilien Marie Kolbe. Je voudrais donc m’arrêter brièvement sur le martyre, forme d’amour total pour Dieu.
Sur quoi se fonde le martyre? La réponse est simple: sur la mort de Jésus, sur son sacrifice suprême d’amour, consommé sur la Croix afin que nous puissions avoir la vie (cf. Jn 10, 10). Le Christ est le serviteur souffrant dont parle le prophète Isaïe (cf. Is 52, 13-15), qui s’est donné lui-même en rançon pour une multitude (cf. Mt 20, 28). Il exhorte ses disciples, chacun de nous, à prendre chaque jour sa propre croix et à le suivre sur la voie de l’amour total pour Dieu le Père et pour l’humanité: «Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas — nous dit-il — n’est pas digne de moi. Qui veut garder sa vie pour soi la perdra; qui perdra sa vie à cause de moi la gardera» (Mt 10, 38-39). C’est la logique du grain de blé qui meurt pour germer et porter la vie (cf. Jn 12, 24). Jésus lui-même «est le grain de blé venu de Dieu, le grain de blé divin, qui se laisse tomber sur la terre, qui se laisse ouvrir, briser dans la mort et, précisément à travers cela, il s’ouvre et peut ainsi porter du fruit dans l’immensité du monde» (Benoît XVI, Visite à l’Eglise luthérienne de Rome, 14 mars 2010; cf. ORLF n. 12 du 23 mars 2010). Le martyr suit le Seigneur jusqu’à la fin, en acceptant librement de mourir pour le salut du monde, dans une épreuve suprême de foi et d’amour (cf. Lumen gentium, n. 42).
Encore une fois, d’où naît la force pour affronter le martyre? De l’union profonde et intime avec le Christ, car le martyre et la vocation au martyre ne sont pas le résultat d’un effort humain, mais ils sont la réponse à une initiative et à un appel de Dieu, ils sont un don de sa grâce, qui rend capables d’offrir sa propre vie par amour au Christ et à l’Eglise, et ainsi au monde. Si nous lisons les vies des martyrs, nous sommes étonnés par leur sérénité et leur courage en affrontant la souffrance et la mort: la puissance de Dieu se manifeste pleinement dans la faiblesse, dans la pauvreté de celui qui se confie à Lui et ne place qu’en Lui son espérance (cf. 2 Co 12, 9). Mais il est important de souligner que la grâce de Dieu ne supprime pas et n’étouffe pas la liberté de celui qui affronte le martyre, mais au contraire l’enrichit et l’exalte: le martyr est une personne souverainement libre, libre à l’égard du pouvoir, du monde; une personne libre, qui à travers un acte unique définitif, donne toute sa vie à Dieu, et dans un acte suprême de foi, d’espérance et de charité, s’abandonne entre les mains de son Créateur et Rédempteur; elle sacrifie sa propre vie pour être associée de manière totale au Sacrifice du Christ sur la Croix. En un mot, le martyre est un grand acte d’amour en réponse à l’amour immense de Dieu.
Chers frères et sœurs, comme je le disais mercredi dernier, nous ne sommes probablement pas appelés au martyre, mais aucun de nous n’est exclu de l’appel divin à la sainteté, à vivre le haut degré de l’existence chrétienne et cela implique de se charger chaque jour de la croix. Nous tous, en particulier à notre époque où semblent prévaloir l’égoïsme et l’individualisme, nous devons assumer comme premier engagement fondamental celui de croître chaque jour dans un amour toujours plus grand pour Dieu et nos frères, afin de transformer notre vie et de transformer ainsi également notre monde. Par l’intercession des saints et des martyrs, nous demandons au Seigneur d’enflammer notre cœur pour être capables d’aimer comme Il a aimé chacun de nous.